lundi 16 août 2010

LSDO - chapitre 8, verset 1

Chapitre 8



Parc de Mosport, Toronto, mardi 12 avril. 23 h 39.

Les paisibles allées du parc de Mosport étaient autrefois troublées par les hurlements rageurs de voitures de course, car on y avait tracé un circuit de compétition automobile. Mais ce dernier était maintenant désaffecté et le parc, paresseusement étalé sur les rives du lac Ontario, avait retrouvé le calme tant recherché par les habitants de Toronto pour leurs promenades. Toutefois, ce soir, ceux qui appréciaient la quiétude du parc lorsqu’ils s’y promenaient une fois la nuit tombée en seraient pour leurs frais.

Une pluie dense et froide tombait depuis la fin de l’après-midi. Eclairés par les lumières crues des phares de leurs voitures, des dizaines de policiers parcouraient les allées de Mosport en tous sens. Reconnaissables à leur blouson vert foncé, la plupart d’entre eux étaient trempés malgré leur chapeau à larges bords. Ils passaient chaque recoin du parc au peigne fin, n’oubliant pas un fourré, pas un banc, pas un arbre. Les faisceaux bleutés des lampes torches zébraient les sous-bois. S’il n’y avait eu la pluie pour masquer le spectacle, les habitants des hauteurs de Toronto, qui pouvaient d’ordinaire voir le parc depuis leur maison, auraient pu constater qu’il avait brusquement commencé à prendre vie. Les flics en uniformes devaient fréquemment donner de la voix pour se faire comprendre de leurs collègues par-dessus le claquement des gouttes frappant le sol. Parmi eux, on pouvait distinguer quelques types vêtus d’un long imperméable noir. Les agents de l’antenne locale de l’ASF, car c’était d’eux qu’ils s’agissaient, donnaient leurs directives aux policiers locaux chargés de ratisser le parc et, au besoin, n’hésitaient pas à les aider dans leur tâche. L’un d’entre eux, un puma baraqué couvert d’une rase fourrure beige et à la mine renfrognée, laissa en plan son équipier après avoir hurlé un ordre, revint vers l’entrée principale et, après avoir slalomé entre les véhicules de police, s’approcha du fourgon noir de l’ASF où Terence Gerard et ses collègues avaient installé leur QG. Il se mit instantanément au rapport.

- Monsieur, nous avons terminé les fouilles dans le secteur nord-ouest. Rien à signaler.
- Très bien, répondit le guépard sur un ton las. Passez au suivant.

Cela faisait maintenant près de deux heures que Gerard avait fait boucler le parc de Mosport. Pendant la plus grande partie de l’après-midi, usant de tous les moyens disponibles, il avait fait ratisser minutieusement les environs de l’aéroport d’Oshawa, sans pour autant trouver la moindre trace de Thorynque. Tout au long de la journée, il n’avait cessé de réclamer des renforts. La police de Toronto, si elle avait récupéré son chef-adjoint parti en fin d’après-midi pour une affaire urgente, lui avait expédié en retour plus du tiers de ses effectifs, y compris des secrétaires n’ayant jamais mis les pieds sur le terrain, et lui-même avait réquisitionné la quasi totalité des agents de l’antenne locale de l’ASF. Wolf lui avait aussi proposé l’aide de la PFS, mais le guépard avait évidemment décliné son offre. Le loup, qui s’était vu attribuer la responsabilité d’un secteur du parc, avait achevé de le fouiller et revenait en informer Gerard quand il croisa Masinga qui en avait elle aussi terminé. La pluie l’avait obligée à enfiler des vêtements plus adéquats que ceux qu’elle portait habituellement. Sans pour autant la contraindre à renier son attirance pour le cuir noir puisque tant son pantalon que son blouson étaient de la même matière et de la même couleur. Derek, lui, se contentait du blouson d’été bleu marine frappé dans le dos des initiales PFS qui n’était absolument pas imperméabilisé. Frigorifié et trempé jusqu’aux os, sa fourrure était transformée en éponge et il devait avoir l’air assez pitoyable quand Emma arriva à sa hauteur. Elle ne lui adressa pas un mot mais, peut-être amusée par son apparence piteuse – c’est du moins ce qu’il pensa à ce moment, elle lui sourit. Avant que le jeune loup ne puisse lui rendre son sourire, la panthère l’avait dépassé. C’est à cette occasion qu’il remarqua qu’elle avait de très beaux yeux verts.

Quand Emma se glissa à l’intérieur du PC, son équipier y était assis seul devant un plan détaillé du parc. Les traits tirés, les coudes appuyés sur la table, Terence s’efforçait de suivre la progression des recherches. Masinga l’avait rarement vu aussi fatigué.

- Terence, j’ai terminé mon secteur, lui dit-elle. Rien à signaler.
- C’est noté, fit le guépard toujours penché sur sa carte.
- Et ailleurs ?
- Même chose. Mais Thorynque n’a pas pu aller bien loin. Les accès routiers à l’aéroport étaient filtrés, il n’en est pas sorti en voiture. On va le coincer.

La jeune panthère ne partageait pas l’assurance de son équipier. Elle s’apprêtait à le lui faire savoir quand Derek déboula à son tour dans la camionnette. Comme s’il avait lu dans ses pensées, le loup la devança.

- Gerard, les battues ne mènent à rien. Il faut se rendre à l’évidence, nous avons perdu sa trace.
- Vous l’avez perdu ! cria le guépard. Moi je ne le lâcherai pas. Je mettrai la main sur Ronnie Thorynque, quoi qu’il en coûte.
- Mais ça fait bientôt dix heures que nous ratissons les environs ! Et le seul résultat notable obtenu jusqu’ici, c’est d’avoir ameuté la moitié de la ville !

Le ton montait. En dépit de l’opposition croissante de Wolf et de la désapprobation silencieuse de Masinga, l’agent Gerard ne voulait pas en démordre. Il exposa la suite qui, selon lui, devait être appliquée aux recherches en cours.

- Nous nous sommes rapprochés du centre de Toronto. Si Thorynque n’est pas dans ce parc, il doit être quelque part en ville à l’heure qu’il est.
- Et vous pensez sérieusement pouvoir fouiller toute l’agglomération ? interrogea Wolf sur un ton moqueur.
- Il ne pourra plus nous échapper. Il a forcément dû chercher un endroit où passer la nuit. Nous organiserons des perquisitions dans les hôtels, les gîtes et même les foyers pour sans abri. Des patrouilles sillonneront la ville et contrôleront tous les individus suspects, qu’ils ressemblent physiquement à Thorynque ou qu’ils portent une valise similaire à la sienne. La police locale devra y consacrer tous ses moyens !
- Comme si elle n’avait que ça à faire !

Alors que les deux agents fédéraux s’enguirlandaient de plus belle, un bip se fit entendre. Se tournant vers l’ordinateur disposé sur sa droite, Terence s’aperçut que l’antenne locale de l’ASF cherchait à le joindre en visioconférence. Trouvant là un excellent moyen de mettre un terme à la dispute en cours, il s’empressa de répondre. Sur l’écran, l’agent de permanence se trouvait dans un état d’excitation proche de la panique.

- Monsieur, le vice-ministre Derrflinger désire vous parler de toute urgence.
- Très bien, passez-le moi.

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