jeudi 21 janvier 2010

LSDO - chapitre 4, verset 2

Pendant que Matsushita et Grapper téléchargeaient les Vidéos au service scientifique de la police de Tokyo, en utilisant un protocole spécial sécurisé, Wolf discuta un peu avec son collègue nippon à propos des suspects éventuels. Il ressortit de cette conversation que seule une organisation dotée de puissants moyens avait pu mettre sur pied un vol de cette envergure. Derek, qui avait toujours dans l’idée que Komodo était derrière le coup, suggéra cette possibilité à Toyoda, qui ne put que l’infirmer. La mafia japonaise gardait jalousement son territoire et toutes les tentatives du trafiquant océanien pour s’implanter dans l’archipel avaient échoué. Les mafieux nippons eux-mêmes ne pouvaient guère être suspectés. Beaucoup d’entre eux étaient des varans ou des serpents farouchement nationalistes, certains appartenaient à des groupuscules d’extrême droite monarchistes. Le respect qu’ils vouaient aux ornements impériaux était tel qu’il eut été impensable pour eux d’organiser un tel vol. Restait l’hypothèse d’une organisation criminelle étrangère (chinoise ? coréenne ? autre ?) que rien ne permettait ni d’étayer ni d’infirmer. Une fois les données transférées à la police scientifique, le conservateur et les agents fédéraux convinrent d’éplucher les dossiers du personnel en quête de suspects potentiels – après tout, le caractère grossier du vol, vitrine bêtement cassée, ne dénotait-il pas un certain amateurisme ? Il n’y avait peut-être pas besoin d’y voir l’œuvre d’une puissante triade mafieuse, mais simplement l’acte isolé d’un déséquilibré. Rien, en apparence, ne reliait ce vol à celui commis à Surabaya au détriment de feu le Pr. Zeller. Avant de consulter les fichiers informatisés du personnel, Wolf et Grapper demandèrent au conservateur quelques précisions.

- M. Matsushita, fit Grapper, quels sont au juste ces Trois Joyaux ?
- Jusqu’à la création de la Fédération et l’abolition de l’Empire du Japon, ils étaient les symboles de l’empereur et de la légitimité de son pouvoir. A l’origine, on leur prêtait des pouvoirs magiques.
- Pouvez-vous les détailler ?
- Bien sûr. Il y a la Parure Sacrée, constituée d’un diadème, un collier et un bracelet d’or, d’argent et de platine. Chacun de ces bijoux porte un diamant, un rubis et une émeraude. Il y a ensuite le Miroir Sacré, en argent poli rehaussé de 111 perles. Enfin, il y a l’ame-no-murakame-no-tsurugi.
- Plaît-il ? fit Grapper, peu familier de l’accent nippon.
- L’ame-no-murakame-no-tsurugi, l’Epée-Qui-Rassemble-Les-Nuages. La lame est forgée dans le meilleur acier qui soit, elle vaut les meilleurs katana de l’époque féodale. Sa forme suggère d’ailleurs qu’elle a été fabriquée par un Japonais.
- Pourquoi cela ? fit Wolf, surpris. Ces joyaux sont d’origine étrangère ?
- Tout à fait. En 655, Yoshiatsu Jimmu fut envoyé par le seigneur de la guerre Hojo comme ambassadeur auprès du roi de Macassar, en Océanie. Sur place, le grand prêtre lui prédit un avenir exceptionnel et le recommanda auprès du roi. Ce dernier, afin de gagner la faveur des dieux, lui fit don des Trois Joyaux, trois présents magiques censés favoriser son destin. En 657, Jimmu revint au Japon avec ses cadeaux. Confiant dans ses chances de réussite, il se révolta, renversant et tuant le seigneur Hojo. Puis, usant tour à tour de la force, de la ruse et de la diplomatie, il soumit tous les autres seigneurs de la guerre et unifia le Japon. En 660, il se proclama empereur.
- Ces Trois Joyaux, reprit Grapper, sont-ils… encombrants ?
- Non. Un individu seul a très bien pu les emporter, si c’est à cela que vous faites allusion.
- Le plus objectivement possible, demanda Wolf, quelle valeur attribuez-vous aux objets dérobés ?
- Les Trois Joyaux valent déjà une fortune si on ne considère que leur seule valeur marchande. Si l’on y ajoute leurs valeurs culturelle, symbolique et politique, ils forment un trésor inestimable. Mais je ne crois pas qu’on les ait volés pour l’argent.
- Comment cela ?
- Leur notoriété est telle qu’il serait impossible de les vendre, au Japon en tout cas.
- Donc, fit Grapper à l’adresse de Wolf, il faudra les transporter à l’étranger…
- Et donc les faire sortir du pays ! poursuivit son équipier. Agent Toyoda, quelles mesures ont été prises en matière de transport ?
- Les gardes-côtes, les douanes et les aéroports sont en état d’alerte maximum. Officiellement, il s’agit d’un exercice de longue durée destiné à tester l’efficacité de ces différents services en cas de crise grave. Ainsi, tout a été mis en œuvre pour que les Joyaux ne quittent pas le Japon.

Wolf et Grapper se félicitèrent en silence de ce déploiement de forces. En arrivant dans la petite salle du musée un peu plus tôt, ils avaient craint de ne disposer que de moyens dérisoires. Mais l’affaire était des plus délicates et justifiait tous les sacrifices. Après cette longue conversation, les agents passèrent plusieurs heures à parcourir les fichiers du personnel (le Musée National de Tokyo était aussi un des plus vastes de la planète), sans résultat. Bien sûr, quelques employés avaient un passé psychiatrique, mais c’était insuffisant pour faire d’eux des suspects sérieux. A ce moment, l’obscurité régnait dans les cerveaux de Wolf et Grapper. C’est juste avant minuit que la lumière fut.

Alors que Grapper continuait à examiner l’écran de son ordinateur d’un œil vide, Wolf se mit à bailler et consulta sa montre. Elle indiquait 23 h 59. Toyoda, qui malgré son zèle était en train de s’assoupir, fut alors réveillé par un « bip » informatique qui le fit sursauter. Regardant devant lui, il put constater que son écran d’ordinateur indiquait qu’une transmission en provenance de la police municipale de Tokyo était en cours.

- Messieurs, venez voir, annonça-t-il à ses collaborateurs fatigués. Le labo a décrypté certaines images de la vidéosurveillance et nous les fait parvenir.

Aussitôt, les esprits embrumés de Wolf et Grapper se réveillèrent complètement. Enfin quelque chose à se mettre sous les crocs ! Ils s’approchèrent du moniteur, impatients. Matsushita, qui tenait à savoir qui avait osé cambrioler le musée le mieux protégé du monde (son musée !), était tout aussi excité. La bande décryptée passa d’abord à vitesse normale, et on ne vit qu’une silhouette fugitive. Toyoda la fit repasser au ralenti. Le logiciel et les techniciens du labo avaient accompli un travail incroyable, et l’image naguère presque totalement brouillée par les parasites était désormais d’une netteté impressionnante. La silhouette du voleur repassa : Toyoda stoppa la bande, puis effectua un zoom sur sa tête. Lorsqu’elle s’afficha en plein écran, Wolf et Grapper médusés contemplèrent, malgré une résolution d'image plutôt moyenne, le visage du cambrioleur : le député Ronnie Thorynque.

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