jeudi 29 avril 2010

LSDO - chapitre 7, verset 2

Au-dessus de l’océan Pacifique nord, mardi 12 avril. 2 h 27.

L’intérieur du petit jet de la Police Fédérale de Sécurité était des plus confortables. Les secousses étaient rarissimes et l’on n’entendait des trois réacteurs de l’appareil qu’un léger chuintement plus faible encore que celui d’un réfrigérateur en marche. Il en eut été tout autrement si, au lieu de faire un crochet vers le sud, l’avion avait tiré tout droit à travers l’importante dépression orageuse qui se trouvait à présent sur la gauche de l’appareil. A travers son hublot, l’agent Wolf observait un ciel noir comme de l’encre. De temps à autre, dans le lointain, la nuit était déchirée par de gigantesques éclairs qui zébraient les nuages en contrebas, en soulignant le contour des ailes de l’avion. Derek, qui n’avait jamais rien vu de semblable, était le premier à s’en émerveiller. Spectateur privilégié, il se voyait offrir un véritable son et lumière, à ceci près qu’on n’entendait strictement rien des coups de tonnerre. Ses compagnons de voyage, Grapper, Masinga, Gerard, ne témoignaient pas le même intérêt que lui pour ce déchaînement météorologique. Ils tâchaient surtout de se reposer après une soirée épuisante. Ils avaient d’abord, grâce à l’équipement satellite dernier cri installé à bord du Falcon, contacté l’antenne de la PFS à Toronto, laquelle s’était vue chargée tant d’accueillir le détachement T que d’organiser l’arrestation de Ronnie Thorynque dès qu’il descendrait de son avion. Puis ils avaient fait leur rapport au vice-ministre Derrflinger. Si le loup gris avait été fortement courroucé par l’échec de ses agents et l’invraisemblable « disparition » du député, il eut la délicatesse de n’en rien laisser paraître, se bornant à affirmer que tant que l’on savait où se trouvait Thorynque, l’affaire restait sous contrôle.

Depuis quelques minutes, Dan Grapper regardait fixement en direction de Terence Gerard. Ce dernier somnolait en feignant plus ou moins de ne pas avoir remarqué l’attitude du renard, assis en face de lui. Soudain, Grapper lui demanda tout de go :

- Agent Gerard, je ne vous ai pas déjà rencontré quelque part ?
- Certainement à Melbourne, répondit le guépard avec un dédain à peine dissimulé. Vous vous souvenez ? A votre hôtel…
- Non, avant cela…
- Très sincèrement, je ne vois pas.
- Mais si… Ça y est, je vous reconnais ! Vous êtes le type de la pub pour Schweppes !

Gerard le regarda en prenant un air des plus agacés.

- Enfin Grapper, ne soyez pas ridicule ! répondit-il. Un agent spécial n’a pas besoin de faire de publicité. Il a déjà assez à faire avec les dossiers que la PFS n’est pas capable de résoudre.
- Justement parlons-en, des agents « spéciaux » fit Grapper courroucé. Surtout de ceux qui laissent filer un suspect, brusquement « envolé » alors qu’un type de l’ASF est juste derrière lui…
- J’ai au moins réussi à le suivre à la course, ce qui n’est pas le cas de tout le monde dans cet avion…
- … et l’agent Gerard ne s’est pas retrouvé par terre en allant lui passer les menottes, surenchérit Masinga en appuyant son pied droit sur la table basse posée devant elle.

La discussion tournait vraiment à l’aigre. La possibilité que Thorynque ait pu avoir davantage d’avance qu’il ne le semblât à Gerard, et soit grimpé dans l’avion après s’être dissimulé parmi du matériel de maintenance, fut évoquée, mais le guépard l’écarta catégoriquement tant il était sûr de son habileté à la course. De son côté, Wolf fut accusé de ne pas avoir fait suspendre le décollage de l’avion de ligne, mais il objecta qu’il était très improbable, selon son plan, que Thorynque puisse seulement s’en approcher… et reporta la faute sur Gerard, coupable selon lui de ne pas avoir intercepté le fugitif à temps. Les uns et les autres passèrent ainsi quelques minutes à se rejeter la responsabilité de l’échec subi à Haneda, avant que, se rappelant finalement les directives de Derrflinger – pas de rivalités entre services au sein du détachement – Wolf ne tente maladroitement d’y mettre un terme.

- Je crois que tout le monde a un peu sa part de responsabilité dans cette histoire, déclara-t-il. Cela étant, agent Gerard, vous auriez peut-être mieux fait de m’avertir de ce que vous comptiez faire. Cela nous aurait permis de mieux coordonner nos actions.
- Je n’ai pas de comptes à vous rendre, répondit sèchement le guépard. Vous n’êtes pas le chef de ce détachement, que je sache.

Derek dut se faire violence pour ne pas s’emporter. Mais il ne supportait pas qu’on lui parle sur ce ton et ne put s’empêcher de répliquer.

- Il me semble pourtant que vous n’avez pas formulé d’objection à ce que je serve d’intermédiaire entre le détachement et les autorités locales.
- C’est exact, mais de là à prétendre nous donner des ordres, il y a un grand pas.

Ni Wolf ni Gerard ne voulaient en démordre. Têtus comme des mules, ils campaient sur leurs positions. Les quatre agents étant fatigués, l’engueulade finit par se tarir. Mais il était clair qu’au sein du détachement T, la coordination était à revoir. Pour avoir la paix, Derek finit par concéder :

- Puisque vous insistez, Gerard, vous assurerez la coordination des opérations lorsque nous atterrirons à Toronto. Qu’est-ce que tu en penses, Dan ?
- Tout à fait d’accord, répondit le renard.

Ce dernier refusait ostensiblement de croiser le regard de Terence. Le félin se contenta d’afficher un petit sourire de satisfaction sans rien ajouter. Alors qu’Emma Masinga penchait nonchalamment la tête sur le côté pour essayer de dormir, Derek se leva et gagna la cabine de pilotage.

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