mercredi 30 septembre 2009

LSDO - chapitre 1, verset 2

Le briefing touchait à sa fin. Une vingtaine d’agents écoutait le directeur adjoint Pat Slaughterbean donner ses dernières instructions.

« D’après nos renseignements, les deux suspects ont l’intention de se rendre maîtres de la station de radio KM Country Music pour y diffuser leurs revendications. En somme, c’est presque un mini coup d’État. Ils sont armés et dangereux, alors soyez sur vos gardes. Chacun sait ce qui lui reste à faire. Bonne chance à tous. »

Slaughterbean était un renard corpulent et entre deux âges, dont le poil commençait à grisonner et se raréfier sur le sommet du crâne. Dan Grapper ne cessait de plaisanter (discrètement) à ce sujet ; à chaque fois, Derek Wolf mourait d’envie de lui rétorquer qu’il subirait bientôt le même sort, car la tignasse rousse de Grapper se faisait effectivement de plus en plus rase. Après avoir enfilé un gilet pare-balles, les deux agents s’apprêtaient à rejoindre leur poste quand leur attention fut détournée par des cris. Dans une salle ouverte, un peu à l’écart, un autre agent fédéral et sa coéquipière s’engueulaient comme du poisson pourri :

- Ils ne vont pas diffuser des revendications quelconques ce soir ! dit le mâle, un renard à la fourrure rousse très sombre, presque noire. Ils vont passer un message subliminal !
- Mais tu entends ce que tu dis ! rétorqua sa partenaire d’une voie crécelle. Enfin, tu n’imagines tout de même pas que ces deux rongeurs vont conquérir le monde en utilisant je ne sais quels pouvoirs paranormaux !
- Tenter de conquérir le monde, ils font ça depuis des années. Et qui te parle de pouvoirs paranormaux ? Ils vont juste diffuser un enregistrement doublé aux ultrasons. Un enregistrement dont la fréquence altérera le fonctionnement de notre cerveau et nous poussera à nous soumettre à la seule véritable autorité : la leur !
- Moldhair, ce n’est pas scientifique !
- Mais c’est ce qui va se produire si on n’intervient pas avant qu’ils diffusent leur message ! Sinon, on ne pourra rien faire !
- Salut, Fuchs ! Y a un problème ?

Moldhair et Squeully, visiblement contrariés que Grapper ait surpris et interrompu leur engueulade, ne soufflèrent mot pendant quelques instants. Ce qui permit à Wolf d’observer la jeune femelle à loisir. Dana Squeully était une très belle louve arborant une magnifique fourrure d’un roux très clair. Ce n’était pas la première fois qu’il la remarquait, et force était de constater qu’elle lui plaisait beaucoup. Malheureusement, Squeully ne se départissait pour ainsi dire jamais d’un air glacial à même de dissuader le plus esseulé des célibataires de lui adresser la parole.

- Moldhair ? reprit subitement Grapper.
- Hum, euh… Oui, Grapper, Wolf, on a besoin d’un coup de main ! Les deux zygotos ne vont pas se contenter de demander une rançon ou je ne sais quoi, ils vont diffuser un message subliminal.

Les deux agents adressèrent à Moldhair un regard incrédule sous l’œil navré de Squeully.

- Moldhair, répondit Grapper après quelques instants, je sais que toi et Squeully, vous suivez ces deux-là depuis des semaines. On respecte ton boulot, t’es un des meilleurs agents du département… Tu es sûr de ce que tu avances ?
- Je n’ai pas de preuves concrètes, si c’est ça que tu veux dire. Mais de toute façon, ce n’est pas là-dessus qu’on les condamnera.
- En admettant que tu aies raison, dit Wolf, en quoi cela nous concerne-t-il ?
- Le plan de Slaughterbean est d’attendre que le message de revendication soit diffusé, n’est-ce pas ?
- Oui…
- Ce message ne doit en aucun cas passer à l’antenne. Dans le cas contraire, leurs partisans se compteraient demain matin par dizaines de milliers.
- Et comment tu comptes faire ? demanda Grapper.
- Il faut anticiper l’assaut.
- Et désobéir aux ordres ?!
- C’est le seul moyen ! Je tacherais de couper le courant. Squeully me couvrira. C’est à ce moment là que vous passerez à l’action et les neutraliserez tous les deux.

Le regard de Wolf s’attarda sur le dossier ouvert sur la table. Parmi divers papiers trônaient les photographies de deux des plus dangereux criminels de la planète, qui allaient peut-être, cette nuit, tenter de conquérir le monde : Minus et Cortex. L’agent fixa le portrait des deux souris blanches : Minus, le serviteur zélé, à l’apparence stupide mais inquiétante ; et Cortex, le cerveau, front fuyant, crâne démesuré, regard froid, imperturbable et impénétrable. Derek Wolf songea que cette nuit, leur règne sur le monde allait peut-être commencer. Un message subliminal ? Cela semblait fou. Moldhair était coutumier de ce genre de théorie abracadabrante, une réputation qui le suivait depuis l’académie. Mais il passait aussi pour être un véritable génie. Il avait déjà résolu plusieurs affaires en apparence inextricables. Les autres agents s’étaient maintenant tus, suspendus à la réponse de Wolf.

- Ton histoire est à dormir debout, dit-il enfin, mais je te fais confiance, Moldhair. Je vais t’aider.
- Alors c’est bon pour moi aussi, renchérit Grapper.
- Merci les gars ! Je vous le revaudrai.

Les quatre agents finirent de se préparer et se rendirent aussitôt sur place.

dimanche 20 septembre 2009

LSDO - chapitre 1, verset 1

Il est temps.

À partir de maintenant, ce blog va publier, morceau par morceau, le modeste roman auquel il doit soit nom. J'en appelle à l'indulgence : ceci reste une oeuvre de jeunesse, vieille de cinq à six ans. Naturellement, cela ne doit pas vous dispenser d'émettre vos commentaires. Je m'efforcerai de publier aussi régulièrement que possible.





Chapitre 1



Memphis, continent fédéré d’Amérique du Nord, vendredi 1er avril 2003. 19 h 21.

« Fichus programmes télé ! »

Allongé sur le lit, un bras derrière la tête, l’agent fédéral Dan Grapper éteignit le poste et reposa la télécommande sur sa table de chevet dans un geste de dépit. A l’autre bout de la chambre, son coéquipier, assis à la table qui faisait office de bureau, lisait tranquillement son journal.

- Eh Derek, qu’est-ce qu’il y a dans le journal ?
- Rien d’intéressant. Juste les résultats complets des dernières élections. On votait encore hier, dans cette circonscription.
- Ah, c’est vrai…

L’agent Derek Wolf n’avait pas daigné tourner la tête pour répondre. Il se replongea aussitôt dans les pages du quotidien local. Les résultats du vote de la veille occupaient bien les deux tiers du journal. On n’élit pas tous les jours son représentant au Parlement fédéral.

« C’est donc à une large majorité que M. Colingwood a été élu député de la circonscription du Tennessee. Ce résultat ne change rien à ceux déjà acquis dans le reste du monde en février dernier… Et maintenant, la composition définitive du parlement fédéral :

Parti des Mammifères : 567 sièges (37,8%) - dont Placentaires (majorité) : 528 sièges (35,2%) ; Marsupiaux (majorité, régionalistes) : 38 sièges (2,5%) ; Monotrèmes (majorité, localistes) : 1 siège (0,1%).
Parti des Amphibiens : 328 sièges (21,9%) - dont Anoures (majorité) : 278 sièges (18,5%) ; Urodèles (opposition, centralistes) : 34 sièges (2,3%) ; Apodes (opposition, Troisième Voie) : 16 sièges (1,1%).
Parti des Reptiles : 605 sièges (40,3%) - dont Sauriens (opposition, centralistes radicaux) : 356 sièges (23,8%) ; Ophidiens (opposition, centralistes modérés) : 227 sièges (15%) ; Chéloniens (majorité) : 22 sièges (1,5%).

… La coalition gouvernementale fédéraliste, malgré l’importante progression du Parti des Reptiles, dispose d’une majorité suffisante (au moins 867 sièges sur 1.500, soit près de 58% des voix)… C’est donc sans surprise que l’on retrouve 15 mammifères au sein du gouvernement fédéral… »

Derek arrêta là sa lecture. Il avait parcouru dans tous les sens les résultats électoraux lors des semaines précédentes et tout ce qui était écrit à ce propos dans le journal, il le savait déjà. L’agent fédéral chercha en page Mondial de quoi satisfaire sa curiosité. Il finit par trouver l’entrefilet tant attendu.

« Océanie : pas de cour de cassation pour l’empereur de la drogue
La cour d’appel fédérale de Surabaya a rejeté hier le pourvoi en cassation de « l’empereur » de la drogue océanien, Hartono Komodo… Komodo, âgé de 54 ans, avait été condamné à 30 ans de réclusion pour ses activités criminelles, en janvier dernier… Komodo avait été capturé à l’issue d’une enquête très délicate, menée pendant près d’un an par la Police Fédérale de Sécurité sous la houlette du directeur adjoint Pat Slaughterbean… A bord du yacht de Komodo avaient été saisis, lors de son arrestation, près d’une tonne d’héroïne ainsi qu’une collection d’objets d’art acquis illégalement, dont certains d’une grande valeur historique… »

L’agent Wolf se laissa aller à un petit sourire de satisfaction qui découvrit ses crocs. Pendant plus d’un an, lui et ses collègues avaient réuni preuves et indices pour coincer Komodo, qui exportait tellement de drogue qu’on en arrivait à dire de lui qu’il finirait par noyer le monde dans l’héroïne. Le Ministre de la Sécurité Publique avait tenu à féliciter en personne Slaughterbean et son équipe. Comme lui, Derek pouvait s’estimer satisfait : Komodo allait passer trente ans derrière les barreaux. La PFS n’avait pas travaillé pour rien. Derek se gratta l’extrémité inférieure du museau avec ses griffes, lissa sa belle fourrure gris-beige, puis regarda son image dans le miroir accroché au mur face à lui, et se dit que finalement, il n’était pas trop mal pour un loup célibataire. Il voulut montrer à Grapper l’article du journal mais n’en eut pas l’occasion : le téléphone de son équipier venait de sonner.

« Grapper… Oui… On arrive tout de suite ! »

Le renard raccrocha aussitôt et se leva d’un bond.

- Qu’y a-t-il ? demanda Derek.
- C’est pour ce soir. Briefing à 20 h 00 au PC.

Sans plus attendre, les deux agents enfilèrent par-dessus leur chemise blanche une veste bleu marine, frappée dans le dos des initiales PFS en jaune, puis quittèrent le motel.