mercredi 16 décembre 2009

LSDO - chapitre 3, verset 3

Hôtel Mataram, Surabaya. 22 h 47.

Wolf et Grapper rentraient à leur hôtel, sans prêter attention le moins du monde à l’aspect extérieur de ce dernier. Quand on visite deux ou trois hôtels différents en quelques jours, on finit par ne plus se soucier de leur allure. Tous se ressemblent, en décoration comme en confort. Et de toute manière, les agents de la PFS ont généralement d’autres soucis.

Après leur passage au département d’archéologie, le loup et le renard de la police fédérale avaient passé le reste de la journée à sillonner le campus, menant leur enquête et glanant ça et là quelques renseignements. Ils avaient fouillé l’extérieur du bâtiment où Zeller avait été tué, en quête d’indices. Ils avaient interrogé pas mal de monde et rencontré les responsables de l’université, pour vérifier si un éventuel témoin avait échappé aux investigations de la police locale. Ils avaient auditionné plusieurs collègues de la victime. Après des heures de travail et une courte pause à midi, les deux enquêteurs n’avaient pas appris grand chose de plus sur l’affaire. Le soir, ils peinèrent à trouver une table libre, la plupart des gargottes de la cité universitaire étant bondées d’étudiants s’apprêtant à célébrer l’apothéose de leur « Grand Coucoucide » avec force libations. Fuyant au plus vite le raffut des « chasseurs » et des « coucous », Wolf et son équipier regagnèrent l’hôtel Mataram, à un quart d’heure de marche du campus, où l’antenne de la PFS à Surabaya leur avait réservé deux chambres avant même leur arrivée. Sur le chemin du retour, ni l’un ni l’autre ne remarquèrent la créature aux grands yeux jaunes qui, du haut des arbres, les épiait.

Retourner à l’hôtel ne signifiait pas pour autant cesser le travail. En pénétrant dans la chambre de Grapper, les deux mâles continuaient à discuter de l’affaire Zeller. Comme à son habitude, le renard voulait connaître la pensée profonde de son partenaire.

- Qu’est-ce que tu penses de cette affaire, Derek ? lui dit-il.
- Tu veux vraiment savoir ? Je pense que c’est Komodo qui est derrière cette histoire.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- On n’a pas la moindre trace du tueur, poursuivit Wolf avec conviction : ni empreinte, ni trace de poudre, et pas de témoins. C’est du travail de pro. Un travail comme les gars de Komodo pouvaient le faire. Et puis il a un mobile, ce fichu lézard : le manuscrit volé lui appartenait. Tu te souviens de la cargaison de son yacht, quand on l’a arrêté ?
- Sûr que je m’en souviens ! J’avais jamais vu autant de came de ma vie ! Sans compter sa collection d’antiquités…

Le varan Hartono Komodo avait été arrêté à bord de son yacht, le soir du 31 décembre 2001, après une véritable bataille navale entre ses gardes du corps et les vedettes des gardes-côtes, et un abordage en règle par l’équipe de Slaughterbean au grand complet. L’opération pourtant délicate fut rondement menée, la PFS n’ayant aucune perte à déplorer ce soir-là. Outre le varan, ses invités et une tonne d’héroïne pure à 95 %, on avait trouvé à bord du luxueux bateau un grand nombre d’objets d’art et de reliques anciennes. Une aubaine pour le patrimoine historique de la région. La collection, après avoir servi de pièce à conviction lors du procès, fut donnée au musée de la ville de Surabaya.

- … mais tu crois vraiment que c’est un coup de Komodo ? reprit Grapper.
- Evidemment ! Il avait beaucoup de relations. Vraisemblablement, il a encore le bras suffisamment long pour tenter de récupérer « sa » collection.
- Ton idée est intéressante, Derek, mais elle ne me convainc pas entièrement. Tu oublies que Komodo est incarcéré dans un zoo fédéral ! C’est l’un des prisonniers les mieux gardés de la planète, ses contacts avec l’extérieur sont rigoureusement surveillés. Et puis, il n’y avait pas besoin de tuer ce pauvre Zeller pour récupérer le manuscrit, pas besoin de lui envoyer un pro.
- Pour autant, ce ne serait pas la première fois que Komodo fait assassiner quelqu’un pour rien.

L’enquête qui avait mené à l’arrestation de celui qu’on surnommait alors « l’empereur de la drogue » avait duré quatorze mois. Wolf y avait travaillé presque à plein temps, mettant ses nerfs à rude épreuve. Pire : à la suite de l’interception d’un de ses convois d’héroïne par la PFS, Komodo avait fait assassiner quatre agents fédéraux. Bien qu’ils se trouvaient à Surabaya pour une toute autre affaire, les quatre fédéraux avaient été froidement abattus dans leurs chambres d’hôtel. Parmi eux se trouvait le premier équipier de Wolf, un vieux loup qui lui avait appris les ficelles du métier au moment de son arrivée à la PFS, en 1991. Depuis, Wolf poursuivait Komodo d’une haine tenace.

- Bon point pour toi… poursuivit Grapper. Mais je ne vois pas trop pourquoi Komodo voudrait reconstituer sa collec’, maintenant qu’il est presque certain de passer le reste de sa vie derrière les barreaux.
- Ça n’empêche pas de lui rendre une petite visite à Madiun, demain ! Qu’est-ce que tu en penses ?

Wolf était visiblement déterminé à se trouver face à face avec le trafiquant. Peut-être pour savourer sa vengeance, en le voyant menotté, en uniforme de taulard, réduit à l’impuissance. Grapper, dont l’expérience était souvent appréciée par Slaughterbean lui-même, tâcha de dissuader son collègue de prendre cette histoire trop à cœur.

- Tu sais Derek, lui dit-il avec circonspection, il y a beaucoup d’autres collectionneurs qui auraient pu être intéressés par ce manuscrit…
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Ce que j’essaie de dire, c’est que, crois-moi, tu dois éviter d’en faire une affaire personnelle.
- Ne t’en fais pas pour ça, Dan. Je sais exactement ce que je fais.

Dan Grapper n’était pas d’humeur à se disputer avec Wolf. Même si cela ne leur arrivait presque jamais, c’est une situation qu’il détestait. Pour l’éviter, il finit par céder. Ayant obtenu satisfaction, son équipier changea aussitôt de sujet.

- Comme tu voudras. Demain matin, nous irons poser quelques questions à Komodo, au zoo fédéral de Madiun.
- OK. Assez parlé boulot, tu veux bien ? Comment va ta famille ?
- Bien. Annie était un peu fatiguée ces derniers temps. Tu sais, c’est pas évident de s’occuper toute seule de trois gamins. Heureusement, leurs grands-parents les gardent de temps en temps…
- Ils doivent te manquer.
- Tu sais, ça fait vingt et un ans que je fais ce métier. J’ai l’habitude. D’une certaine manière, mener des enquêtes aux quatre coins du globe m’empêche de sombrer dans la routine…

Derek Wolf, qui avait neuf ans de moins que son partenaire, aimait discuter avec Grapper même si c’était rarement pour autre chose que le travail. Depuis plus de cinq ans qu’ils faisaient équipe, Grapper lui avait beaucoup appris. Les deux agents discutèrent ainsi pendant un moment. Puis, Madiun étant à plus de deux heures de route de Surabaya, ils allèrent se coucher.

C’est en entrant dans sa chambre que Wolf s’aperçut que quelqu’un avait glissé sous la porte un morceau de papier plié en quatre. Après avoir fermé à double tour, il l’ouvrit et le lut aussitôt. C’était une sorte de poème ou de chanson, une simple strophe de quatre vers :

Coin coin fait le canard, tout va bien !
Coin coin fait le canard, c’est bénin !
Mais si seulement coin fait le canard,
Alors toute proche est la fin !

C’était tout simplement dépourvu de sens, à tel point qu’après quelques minutes de réflexion – et de perplexité, l’agent Wolf finit par se persuader qu’il s’agissait de l’œuvre d’un plaisantin quelconque, qui avait choisi sa chambre au hasard. Peut-être un étudiant enhardi par les festivités du « Grand Coucoucide ». Pourtant, en relisant le papier, Wolf, sans qu’il sache vraiment pourquoi, ne put s’empêcher de penser au député Ronnie Thorynque, tel qu’il l’avait vu sur les photos qu’on avait mises à sa disposition à Melbourne. Thorynque avec son faciès de canard, ses pattes palmées et griffues, sa fourrure brune, lisse et brillante. « C’est absurde » se dit-il. Le député était bien loin et de toute façon, il n’était plus sur cette affaire-là. L’agent fédéral rangea le papier dans sa poche et se mit au lit après avoir pris une douche. Assailli par d’autres pensées, il cessa de songer à l’énigmatique message. Il s’endormit rapidement. Son sommeil fut agité.

jeudi 3 décembre 2009

LSDO - chapitre 3, verset 2

Campus de Surabaya, samedi 9 avril. 10 h 04.

Il n’y avait que très peu de cours le samedi à l’université de Surabaya, mais le campus était gagné par une agitation pour le moins saugrenue. Quelques étudiants, plus ou moins bien grimés en oiseaux, couraient en tous sens en criant « coucou ! coucou ! ». Ils tentaient d’échapper à leurs poursuivants, de petits groupes d’étudiants déguisés en chasseurs, avec lances, arcs et fusils factices. Interloqué, Wolf interrogea son guide, un tigre, policier en tenue, sur cette étrange pratique.

- Ça ? C’est la fête du Grand Coucoucide. Une vieille tradition étudiante. Chaque année, le 9 avril, les pensionnaires du campus organisent une chasse aux « coucous » à grande échelle. C’est un événement structuré, très important. Les « coucous » sont désignés à l’avance, parmi les nouveaux arrivants. En gros, c’est une sorte de bizutage.
- Mais quelle est l’origine de cette… chasse ?
- Il y a un dicton, chez nous, qui dit « le 9 avril, il faut que le coucou soit mort ou vif ». C’est un truc de vieux qui remonte à la nuit des temps. Plus personne n’en connaît la signification exacte. Mais ça amuse beaucoup les étudiants, surtout ceux qui ne sont pas du coin.

Derek Wolf était sur le point de se dire que les distractions des étudiants de Surabaya étaient d’un niveau culturel vraiment affligeant, lorsqu’il se souvint que certaines des occupations auxquelles lui et ses camarades de promotion se livraient lorsqu’ils étaient encore à l’académie étaient tout aussi navrantes. Wolf, Grapper et leur guide indonésien venaient de franchir une grande porte au-dessus de laquelle était gravée l’inscription « Département d’archéologie ». Après avoir accédé au premier étage, les trois mâles atteignirent la salle 101. Dans l’encadrement de la porte, un ruban jaune signalait que le crime avait eu lieu dans cette salle. Après que les trois mâles eussent franchi cette dérisoire barrière, l’officier de la police locale briefa les deux agents fédéraux sur le meurtre.

- Le meurtre a eu lieu ici, mercredi soir. Vers 22 heures, à en croire le légiste.
- Pas le moindre témoin ? demanda Grapper d’un air surpris.
- Aucun. Comme vous avez pu le voir, ce bâtiment est à l’opposé des logements des étudiants, et le département d’archéologie n’est pas très fréquenté, surtout la nuit. Il n’y a guère que la victime qui s’y aventurait.
- Parlez-nous de la victime, demanda Wolf.
- Rupert Zeller, répondit le flic en sortant un dossier de son sac. Archéologue. Il travaillait ici depuis plus de vingt ans.

L’officier montra à Wolf et Grapper quelques photos du chercheur, un orang-outan massif, velu, l’air peu commode. Sur le sol, près d’une grande table située au centre de la salle, une silhouette trapue dessinée à la peinture blanche rappelait sa fin tragique.

- Et qu’est-ce qu’il faisait ici à une heure si tardive ? interrogea à nouveau Grapper.
- D’après ses collègues, Zeller aimait beaucoup travailler tard dans ce bâtiment. Il se trouvait au calme.
- Des ennemis ? Un chercheur jaloux de sa réussite ?
- A en croire les autres archéologues, Zeller était parfois difficile à vivre. Mais c’était un chercheur brillant, et tout le monde ici le respectait.
- On nous a dit que cette affaire avait un rapport avec Hartono Komodo. Zeller l’avait-il déjà fréquenté auparavant ?
- Pas que l’on sache. Mais vous devriez poser la question à Rajiv Jones et Beth Gibbons. C’étaient ses deux assistants. Ils travaillent au rez-de-chaussée.
- Revenons-en au meurtre, si vous voulez bien, dit Wolf.
- Zeller a été tué de deux balles dans la poitrine. Vraisemblablement, il a entendu son agresseur approcher et s’est retourné avant d’être abattu. Y a-t-il autre chose que vous voudriez savoir ?
- Non. Nous vous remercions.
- Ah, j’allais oublier ! fit le policier en tenue. L’assassin a dérobé le document sur lequel Zeller travaillait.
- Quel était ce document ? fit Grapper.
- Les deux assistants de Zeller pourront vous l’expliquer en détail. Si vous voulez bien m’excuser, j’ai des tonnes de travail à faire…
- Bien sûr. Encore merci.
- Je vous en prie…

Le tigre prit congé après avoir laissé le dossier Zeller entre les pattes des deux agents fédéraux. Ces derniers furent agréablement surpris par sa courtoisie. Généralement, en tant que canidés, ils étaient très mal accueillis par les policiers locaux, en uniforme ou pas, si ceux-ci étaient des félins. Wolf finit par se dire que l’hostilité ancestrale entre les uns et les autres n’étaient peut-être pas forcément génétique.

Après avoir redescendu l’escalier, Wolf et Grapper s’approchèrent de la salle 02, où étaient sensés travailler les deux assistants de feu le professeur Zeller. Ils frappèrent à la porte ; n’obtenant pas de réponse, ils finirent par entrer. A l’intérieur, très similaire à celui de la salle précédente, deux jeunes singes leur tournaient le dos. L’un d’eux – un mâle – était courbé sur un grand dessin – la copie d’une fresque, apparemment – tandis que l’autre, une femelle élancée, tapait à vive allure sur un clavier d’ordinateur. Complètement absorbés par leur travail, ils sursautèrent lorsque Wolf les interpella en déclinant son identité, celle de son partenaire et les raisons de leur visite. Les deux archéologues se retournèrent aussitôt et se levèrent. Le mâle, un nasique au nez évidemment gigantesque, s’avança vers les deux agents. Sa collègue était une femelle gibbon – ses membres interminables ne laissaient guère de doutes à ce sujet. Tous deux avaient une fourrure claire et courte, et portaient lunettes, pantalons de toile et chemise légère. Au premier coup d’œil, Wolf ne put s’empêcher de les trouver ridicules. Le nasique se présenta, l’air un peu intimidé.

- Euh… Bonjour ! fit-il. Je m’appelle Rajiv Jones, et voici ma collègue Beth Gibbons.
- Etes-vous les assistants du professeur Rupert Zeller ? interrogea Wolf. Nous voudrions vous poser quelques questions au sujet de sa mort…

Le regard des deux singes se couvrit d’un voile de tristesse. S’efforçant de n’en rien laisser paraître, Jones se déclara prêt à répondre à toutes les demandes des deux agents, qui débutèrent aussitôt leurs investigations. Après quelques questions de routine, Wolf en vint à ce qui le préoccupait vraiment.

- Nous voudrions en savoir plus sur le document qui a été dérobé dans le bureau de Zeller, celui sur lequel il travaillait.
- C’est un manuscrit ancien d’une très grande valeur historique. Il date du Xème siècle.
- De grande valeur ? demanda Grapper. Vous gardez beaucoup d’objets de ce genre, dans ce bâtiment ?
- Oh, non. Généralement, ils sont entreposés au musée de la ville.
- Et que faisait ce manuscrit ici, alors ?
- Le conservateur du musée est une vieille connaissance du professeur, répondit Gibbons. Il n’a pas eu de mal à le convaincre de l’amener ici. Le professeur aimait travailler ici le soir. Il se trouvait au calme…

Il était évident que de tels objets, compte tenu de leur valeur tant historique que marchande, attisaient nécessairement la convoitise des collectionneurs. De là à dire que le meurtre de Zeller était un cambriolage qui avait mal tourné, il n’y avait qu’un pas. Tout en songeant à cette possibilité, Wolf poursuivit l’interrogatoire, tâchant d’en savoir plus sur le manuscrit.

- Depuis combien de temps le professeur Zeller travaillait-il sur ce document ?
- Quelques semaines. Il provenait des collections du parrain de la drogue, Hartono Komodo…

Intérieurement, Derek Wolf tilta. C’était donc ce manuscrit qui reliait Komodo à la victime. Dans l’esprit de l’agent, le soleil se levait. Il n’allait pas tarder à éclairer cette affaire. Ce coup-ci, Wolf se dit qu’elle serait vite réglée. Il posa encore quelques questions banales aux deux singes, puis les laissa poursuivre leur travail. Avant de quitter la salle, Grapper, par curiosité, demanda de quoi parlait le manuscrit dérobé. Dans les yeux de Rajiv Jones, une lueur mêlant peine et excitation brilla quelques instants.

- C’est un texte religieux, la Prophétie des Oiseaux. On en ignore presque tout le contenu, car les prêtres qui l’ont rédigé vers l’an 800 ont volontairement utilisé un langage codé. Sans doute pour qu’elle ne tombe pas entre de mauvaises mains… Le professeur avait connu beaucoup de difficultés, mais il semblait avoir cassé le code et progressait de plus en plus vite.
- Et à quoi aurait-il pu servir ?
- Certainement à mieux connaître le contexte des affrontements religieux qui ont secoué l’empire de Surabaya à cette époque. C’est un document très précieux. Sa perte est presque aussi grave que celle du professeur… Allez-vous le retrouver ?
- Nous ferons de notre mieux… fit Grapper impassible.
- Quelque chose me dit que nous n’allons peut-être pas trop tarder à mettre la main dessus, ajouta Wolf avec un léger sourire qui ne surprit qu’à moitié son équipier.

Après avoir laissé leurs numéros de téléphone portable aux deux chercheurs, au cas où ils se rappelleraient un détail, les deux agents quittèrent le département d’archéologie.

dimanche 29 novembre 2009

LSDO - chapitre 3, verset 1

Chapitre 3



Antenne locale de la PFS, Melbourne, jeudi 7 avril. 21 h 41.

A cause du décalage horaire, Wolf et Grapper avaient dû attendre le soir pour contacter Slaughterbean. Les bureaux étaient fermés mais par bonheur, la permanence nocturne des locaux de la PFS de Melbourne leur avait permis d’accéder sans encombre au téléphone-satellite qui reliait en permanence l’antenne océanienne au QG mondial de la police fédérale, à Lyon. Pendu au combiné, Derek Wolf attendait que Slaughterbean daigne répondre sur sa ligne directe.

- Slaughterbean !
- Monsieur, ici l’agent Wolf, depuis Melbourne.
- Bonjour, Wolf. Votre séjour a-t-il été fructueux ?
- Monsieur, je dois vous rendre compte d’un incident qui s’est produit hier soir…
- Laissez tomber, agent Wolf. Je suis déjà au courant. Ces messieurs de l’ASF sont venus vous annoncer que vous étiez dessaisi de l’affaire ? Ils adorent faire ça, surtout s’ils peuvent déranger nos agents en pleine nuit.
- Monsieur, si je puis me permettre… Que s’est-il passé ?
- Eh bien, l’affaire est sûrement arrivée sur le bureau de notre nouveau Ministre de la Sécurité Publique, qui comme vous le savez, n’est autre que l’ancien directeur de l’ASF.
- Shaka Simba…
- Lui-même. Mais peu importe. J’ai un autre travail pour vous. Demain… quelle heure est-il à Melbourne ?
- Presque 22 heures, Monsieur.
- Demain, vous prendrez l’avion pour Surabaya, où vous enquêterez sur l’assassinat d’un professeur d’archéologie. Il a été tué par balles il y a 24 heures environ.
- En quoi cela concerne-t-il les autorités fédérales ?
- On a peu d’informations pour le moment, mais il semble que ça ait un rapport avec Komodo… L’antenne locale vous renseignera une fois sur place. Tenez-moi au courant. Au revoir.

Wolf raccrocha le combiné et soupira une fois de plus. Grapper, qui avait tout entendu grâce au haut-parleur, ne tarda pas à l’imiter.

dimanche 22 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 5

Université de Surabaya, département d’archéologie, mercredi 6 avril 2003. 21 h 35.

Fenêtre ouverte mais moustiquaire baissée, la salle 101 du département d’archéologie laissait échapper une lumière jaune qui, à elle seule, contrastait avec les autres bâtiments de l’université. Situé un peu à l’écart de la grande métropole indonésienne, le campus de Surabaya était construit en bordure d’une vaste forêt. Parfois, de petits singes sauvages venaient s’égailler sur ses pelouses, pour le plus grand bonheur des étudiants dont beaucoup étaient leurs cousins évolués. Plus prosaïquement, le campus était littéralement envahi par les insectes et la nuit, l’usage des moustiquaires était indispensable.

Eclairé par sa petite lampe de bureau, Rupert Zeller, un orang-outan massif, velu et grisonnant, s’escrimait toujours à déchiffrer le manuscrit qu’il avait sous les yeux. Il aimait l’atmosphère tranquille du campus, le soir, après la fin des cours. Il la trouvait propice au travail, et n’hésitait pas à y rester pour travailler pendant des heures, parfois très tard dans la nuit. Ce soir-là, Zeller était fatigué, mais il voulait absolument progresser dans la traduction de ce parchemin. Il déroula précautionneusement le fragile rouleau, vieux de plusieurs siècles, et se remit à l’ouvrage.

Dans le grand hévéa, sur une branche basse face à la fenêtre éclairée située au premier étage du bâtiment, une silhouette incongrue l’épiait. Agrippée au tronc, la créature déplaça ses mains difformes, aux interminables doigts crochus et squelettiques. Puis elle avança son visage dans le rais de lumière qui s’échappait de la fenêtre, tout en restant à distance respectueuse. Ses grands yeux ronds, démesurés, lui mangeaient plus de la moitié du visage. La lumière de la lampe rétrécissait ses pupilles, rendant ses globes oculaires encore plus jaunes et plus brillants que de coutume. Enfin, son nez et sa bouche, minuscules, dessinaient un rictus qui évoquait presque la folie. L’animal observa l’archéologue travailler un moment. Quand Zeller entendit un bruit et se retourna, la créature haussa les arcades sourcilières, ce qui lui donna un air halluciné, et se cacha dans l’ombre.

Dans la nuit, deux coups de feu claquèrent.


***

Hôtel Down Under, Melbourne, jeudi 7 avril. 2 h 03.

Décidément, cette affaire ne sentait pas bon. Même si les deux agents de la PFS en savaient plus sur ce dossier depuis leur descente au Darwin’s, le cas Ronnie Thorynque restait une énigme. Le soir de sa disparition, le député avait manifesté un comportement étrange. C’était toujours un commencement de piste, mais ça ne disait pas vraiment ce qui lui était arrivé. « Non, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce dossier », se disait Wolf. C’était le genre d’affaire où le génie de Fuchs Moldhair aurait été d’une aide précieuse. Oui, Moldhair, avec son invraisemblable capacité à sauter directement à la conclusion, était vraiment le meilleur pour ce genre de cas mystérieux. Les conclusions en question n'étaient pas toujours les plus pertinentes, encore moins les plus orthodoxes, mais son imagination prolixe avait au moins le mérite de suggérer des pistes à explorer. Mais Moldhair n’était pas là, et Wolf comme Grapper allaient devoir se débrouiller avec leurs propres moyens. Ils étaient en train d’échanger ces impressions dans la chambre de Wolf quand on frappa à la porte. À deux heures du matin, c’était tout sauf normal. Par prudence, Derek prit son arme de service avant de s’approcher de la porte tandis que Grapper se maudissait intérieurement d’avoir laissé la sienne dans sa chambre. L’arme au poing, Wolf ouvrit prudemment, prêt à faire face à l’éventuel agresseur. Un guépard et une panthère noire se tenaient dans le couloir, l’expression figée. Costume noir impeccable pour le premier, jupe courte et bottines de cuir pour la seconde, lunettes noires pour les deux. La dégaine du parfait officier de l’Agence de Sûreté Fédérale.

- Agent Derek Wolf ? fit abruptement le guépard sur un ton glacial.
- C’est moi, répondit Wolf toujours méfiant.
- Agents spéciaux Gerard et Masinga, ASF. Nous souhaiterions vous parler au sujet de l’affaire Ronnie Thorynque.
- Oui, entrez, fit Wolf en rengainant discrètement son pistolet.
- Ce ne sera pas nécessaire. A partir de maintenant, cette affaire passe sous la juridiction de l’Agence de Sûreté Fédérale. La PFS est dessaisie du dossier. Vous devez cesser immédiatement toutes vos investigations. C’est à présent notre enquête.

L’agent Wolf ne put, malgré ses efforts, cacher sa surprise et son incrédulité. Il tenta malgré tout de réagir.
- Eh bien… Je dois d’abord en référer à mes supérieurs…
- Faites ce que bon vous semble, répondit sèchement Gerard. Pendant ce temps, nous allons nous mettre au travail.

Sans rien ajouter de plus, les deux félins tournèrent les talons et s’engouffrèrent dans l’ascenseur. Wolf referma la porte, soupira en adressant un œil noir à Grapper, puis s’allongea sur son lit. Sans un mot, les deux agents allèrent se coucher.

mardi 17 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 4

Club Darwin’s. 23 h 50.

L’enseigne du Darwin’s, une tortue lumineuse dont le rose fluo siéait à merveille à ce genre d’endroit, éclairait d’une faible lumière la petite rue miteuse où le club était installé. Précédés des deux inspecteurs de la police des mœurs, Wolf et Grapper s’approchèrent du videur, un grand hippopotame débordant de muscles engoncé dans un blouson de cuir. L’air peu commode, il regarda les quatre mâles en costard-cravate venir vers lui.

- Salut Charlie ! fit Gold. Ça a l’air calme, ce soir.
- Ça va pas tarder à bouger, répondit l’hippo. Sophie passe dans dix minutes. Tu viens pour le boulot ou pour le plaisir ?
- Pour le boulot.
- C’est qui, ces deux là ? demanda le physio en désignant Grapper et Wolf.
- Des amis. Charlie, tu ne devrais pas être trop curieux avec eux. Autrement, je pourrais subitement me souvenir que tu portes un Colt .45 sous ton cuir.
- C’est pour ma sécurité, répliqua Charlie d’un ton mal assuré.
- Peut-être, mais ta sécurité nécessite théoriquement un permis de port d’arme en bonne et due forme. Mes amis veulent savoir ce que tu as vu vendredi soir.
- Mais je te l’ai déjà raconté…
- Et bien répète-leur…
- Avez-vous vu le député Ronnie Thorynque ce soir-là ? enchaîna Wolf.
- Oui…
- Il vient souvent ici ? demanda Grapper.
- C’est un de nos habitués.
- Et est-ce que vous avez remarqué quelque chose d’inhabituel ? reprit Wolf.
- Pour sûr ! En arrivant vers onze heures, comme d’habitude, il était normal, tout allait bien. Mais en repartant, il était… différent. Il avait pas l’air dans son assiette.
- Vous voulez dire qu’il était malade ? Ivre ?
- Non, il semblait en bonne santé et ne boit presque rien quand il est ici. Mais il ne m’a même pas répondu quand je lui ai dit bonsoir, alors qu’il est toujours très poli avec tout le monde dans la boîte. Et il ne semblait plus savoir où il était. Il a été à droite, puis à gauche, et puis il s’est éloigné.
- Quelle heure c’était ?
- Une heure et demie, à peu près.
- Rien d’autre ?
- Non… Vous devriez causer à Lily, Thorynque était un de ses clients favoris. Elle est là ce soir.

Wolf et Grapper firent un pas en arrière, signe que l’interrogatoire était terminé. Charlie se retourna vers Gold. Derrière le petit groupe, quelques postulants à l’entrée s’impatientaient.

- Bon, vous rentrez alors ? J’ai du monde, moi…
- Ouais, on va faire un tour, répondit Fenwick tout sourire.

Les quatre flics pénétrèrent dans le club Darwin’s. Ils furent aussitôt assaillis par une atmosphère suffocante, chargée de bruit et de fumée. La sono jouait à tue-tête un morceau de R’n’B sulfureux. Wolf fit son possible pour ne pas y prêter attention, car il détestait ce genre de musique. Gold dut hausser le ton pour pouvoir se faire comprendre.

- On a de la chance ! On arrive juste à temps pour le numéro de Sophie la Girafe.
- Qui est-ce ? demanda Wolf.
- La vedette de la boîte ! Sophie est divine. Elle a des jambes… interminables. Un rêve ! De quoi redonner leur virilité aux plus anciens pensionnaires des services de gériatrie !
- Et encore, il n’y a pas que les jambes, dit Fenwick en passant sa patte dans les poils blonds de son crâne, entre ses oreilles démesurées et pointues.
- Pour sûr ! reprit Gold. Une langue de 45 centimètres, ça laisse rêveur, non ?

Ce qui était certain, c’est que Gold et Fenwick n’étaient pas à la brigade des mœurs par hasard. Deux vrais obsédés sexuels. Nul doute qu’ils prenaient souvent plaisir à faire leur métier. Grapper, quant à lui, se trouvait juste derrière Fenwick. Malgré la fumée et les relents de toutes sortes qui régnaient dans la boîte de nuit, il put constater que l’hygiène corporelle du fennec était vraisemblablement des plus douteuses. Et dire qu’on lui avait appris, à l’académie, à se méfier des idées reçues ! Sur la scène principale, Sophie la Girafe était maintenant en pleine action. Elle portait sur elle si peu de tissu qu’on pouvait légitimement se demander de quelle manière elle pourrait réaliser un numéro de strip-tease d’une demi-heure sans se retrouver complètement nue au bout de cinq minutes. Pour l’heure, agrippée à une barre de métal verticale, elle se livrait à des déhanchements suggestifs qui mettaient savamment en valeur ses interminables jambes, rehaussés par de magnifiques porte-jarretelles noirs. Le tout sous l’œil avide de la clientèle du Darwin’s, en majorité des kangourous assez friqués. Constatant que les deux inspecteurs gardaient les yeux rivés sur la scène, Wolf se mit en devoir de les rappeler à leur mission.

- On est ici pour le boulot, inspecteur Gold. Vous vous souvenez ?
- Ouais… Venez, on va parler au patron.

Le patron, un pélican avec costume blanc, lunettes noires et plumes grises gominées, se tenait à une petite table, dans un coin éclairé subtilement par un spot bleu, près du bar. Il prit aussitôt un air inquiet quand il vit les quatre flics approcher.

- Ma, Al, qu’est-ce que tu fiches encore ici ? demanda-t-il avec un exécrable accent méditerranéen.
- Le boulot, Boss, répondit Gold en prenant un air candide. Mes deux amis voudraient parler à Lily.

Le pélican jaugea quelques instants les deux agents de la PFS, puis secoua vigoureusement son goitre. Sur la scène, Sophie dessinait de sa langue violette d’élégantes arabesques, excitant plus que jamais la convoitise de son public.

- Elle est encore sur scène, dans la salle du bas.
- Alors fait la monter.
- Mais c’est pas possible… J’ai un gros client ce soir, et il va bientôt passer en cabine avec elle…
- Boss, tu vois, j’ai rien contre toi… Je m’en voudrais de mettre le museau par hasard dans tes livres de comptes, alors…
- D’accord, je vais la chercher. Passez en coulisse.
- Merci, Boss.
- Ma, de rien. Ça me fait toujours plaisir de te rendre service, fit le patron de la boîte avec un sourire forcé.

Quelques minutes plus tard, les quatre agents purent rencontrer Lily la Tigresse dans sa loge. La strip-teaseuse avait enfilé un peignoir et fumait une cigarette.

- Lily, ces messieurs veulent te poser quelques questions, fit le Boss avant de se retirer.
- C’est à propos de Ronnie Thorynque, ajouta Gold.
- Qu’est-ce que je peux faire ?
- Avez-vous remarqué quelque chose d’anormal dans son comportement, vendredi dernier ? demanda Wolf.
- En début de soirée, tout allait bien. Et puis, au bout d’une demi-heure, il a commencé à changer. Tantôt il avait les yeux dans le vague, tantôt il s’éloignait et revenait sans raison. D’habitude, il est toujours très assidu. Il passe la soirée à mater mes numéros. Là, il n’avait plus l’air de savoir où il était.

Pendant que Lily parlait, Fenwick cherchait visiblement à regarder sous son peignoir. Grapper, qui l’observait, était consterné. Il n’était pas forcément contre ce genre de bagatelle, mais là, c’en était franchement écœurant.

- Est-ce qu’il avait trop bu ? poursuivit Wolf. Pris de la drogue ?
- Vous voulez rire ? Ronnie s’est contenté d’une tequila sunrise, comme à chaque fois. C’est un client réglo. Il me matait sans arrêt, me laissait de gros pourboires, mais c’était pas le genre à passer dans les cabines avec moi…
- Il était seul ?
- Je ne l’ai jamais vu adresser la parole à quelqu’un d’autre qu’au Boss, à Charlie ou au barman. Des fois, on discutait après mes shows. Il était très seul, vous savez. Alors pour se vider la tête, il venait régulièrement ici. En quelque sorte, c’est un de mes fans…
- Bien, c’est tout. Merci mademoiselle.
- Vous allez le retrouver ? Vous savez, c’est un type bien…
- On va faire de notre mieux, conclut Wolf.

dimanche 8 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 3

Commissariat central de Melbourne. 17 h 36.

Les deux agents de la PFS avaient passé la plus grande partie de la journée à fouiller tout ce qui pouvait l’être dans la demeure de Ronnie Thorynque, une villa confortable située dans un quartier plutôt aisé de la proche banlieue de Melbourne. Malgré la bonne volonté des agents en tenue mis à leur disposition, ils n’avaient pas déniché le moindre petit indice. Pas de trace d’effraction ou de visite incongrue, aucun objet suspect ou manquant. Rien de particulier dans les papiers du député, rien d’anormal, rien qui ait pu éclairer la lanterne des deux fédéraux, rien du tout, rien, rien, rien. Un vrai cauchemar. À en croire ses affaires, Ronnie Thorynque n’avait pas le moindre relief dans sa vie, pas le moindre petit péché à se faire reprocher. Dépités, Wolf et Grapper avaient finalement décidé de mettre un terme à cette longue séance de frustration afin de se rendre au commissariat central avant la fermeture des bureaux. Ils tournaient depuis près d’un quart d’heure pour se garer lorsque Grapper indiqua à son équipier une place libre. Toutefois, devant l’impressionnant gabarit de son véhicule, Wolf renonça rapidement à tenter un créneau et se rangea en double file.

Dans les bureaux de la police de Melbourne, l’air était chaud et sentait la fin de journée. Le soleil était bas, et la température montait rapidement malgré les efforts d’une climatisation à bout de souffle. À Lyon, personne n’aurait eu l’idée d’enclencher l’air conditionné à cette époque de l’année. Sur les indications d’une jeune et ravissante renarde stagiaire, Wolf et Grapper pénétrèrent dans le bureau de l’inspecteur Allan Gold, de la brigade des mœurs. Si les locaux qu’ils avaient traversés jusqu’ici sentaient la fin de journée, celui occupé par Gold et son adjoint sentait vraiment le fauve. Ce qui n’était guère surprenant en vérité, se dit l’agent Wolf en grimaçant, car il avait en face de lui un chacal et un fennec.

- Inspecteur Gold ? Police Fédérale de Sécurité. Je suis l’agent Derek Wolf et voici l’agent Dan Grapper. Nous enquêtons sur la disparition du député Ronnie Thorynque.
- Ah, l’affaire Thorynque ? Bienvenue dans nos locaux. Je suis l’inspecteur Allan Gold, de la brigade mondaine, et voici mon partenaire l’inspecteur Richard Fenwick.

Gold se leva pour serrer la patte des deux agents fédéraux. Wolf et Grapper voulurent faire de même avec Fenwick, mais ils s’en abstinrent après s’être aperçus que c’était de son bureau qu’émanait l’air le plus nauséabond. Dans la pièce flottait une poussière omniprésente, illuminée par les rayons obliques du soleil ; un bordel innommable régnait sur les bureaux des deux inspecteurs, avec force paperasses, tasses à café sales et restes de junk food.

- Alors, qu’est-ce qu’on vous a dit sur cette histoire ? demanda Gold en s’affalant sur sa chaise.
- Eh bien, on nous a signalé que Thorynque avait été vu pour la dernière fois en sortant d’une boîte de nuit branchée du centre-ville…
- Le Darwin’s, une boîte de nuit branchée ? s’esclaffa Gold. Ha ha ! Vous les fédéraux, vous avez de ces expressions…
- … une boîte à putes, ouais ! s’exclama Fenwick sans bouger de son coin.
- … disons plutôt un club de strip-tease, pour employer un langage correct, reprit Gold avec un sourire en coin.
- Peu importe ce que c’est que le Darwin’s, rétorqua Grapper l’air contrarié. C’est bien vous qui avez recueilli les seuls témoignages sur la disparition de Thorynque, inspecteur Gold ?
- C’est bien ça ; mais je vous en prie, appelez-moi Al.
- Dans quelles circonstances avez-vous recueilli ces témoignages ? demanda Wolf.
- En allant à la pêche aux infos au Darwin’s, comme d’habitude. Il y passe beaucoup de monde, on peut y apprendre pas mal de trucs. On rencontre souvent nos indics là-bas. Avec tout ce peuple, on passe inaperçu.
- Qui sont les témoins ? fit Grapper.
- Le physio à l’entrée, et une des filles de la boîte.
- Comment peut-on les contacter ?
- Le mieux est de se rendre directement au Darwin’s.
- Eh bien, dit Wolf, pouvez-vous nous y conduire maintenant ?
- A cette heure ci ? C’est encore fermé. Le Darwin’s ouvre assez tard. Le mieux, proposa Gold sans se départir de son sourire en coin, c’est d’y passer ce soir, pendant les heures de travail, si vous voyez ce que je veux dire…
- Comme ça, vous pourrez profiter du spectacle, crut bon d’ajouter Fenwick. Joindre l’utile à l’agréable, en quelque sorte.

Les deux flics éclatèrent d’un rire gras. Grapper et Wolf se regardèrent quelques instants, puis acquiescèrent. L’idée n’était pas vraiment à leur goût, mais il leur fallait bien composer avec ces gars de la mondaine s’ils voulaient recueillir des informations rapidement. Et puis, leurs séminaires de formation, à Lyon, ne mettaient-ils pas l’accent sur les trois Di, diligence, discrétion et diplomatie ? De réunions en brainstormings, les cadres de la PFS ne cessaient d’inciter leurs subordonnés à se montrer respectueux des officiers des polices locales, à ne pas empiéter sur leur juridiction, à ménager leur susceptibilité. Alors ? Va pour le Darwin’s, puisqu’il fallait en passer par-là.

samedi 7 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 2

Melbourne, antenne locale de la PFS, mercredi 6 avril. 9 h 49.

Tout, dans le bâtiment de l’antenne locale de la PFS à Melbourne, suggérait qu’il avait été construit à coup de rallonges budgétaires de plus en plus étriquées. Une façade sale, ternie par la pollution et les petits pigeons sauvages, peinte avec des couleurs criardes rendues pastel par les outrages du temps. Des cloisons en plastique mal isolées par une couche trop mince de laine de verre, et de grandes fenêtres laissant entrer davantage de chaleur que de lumière. En somme, l’expression même du « pas cher – vite fait – mal fait – mauvais goût » de la seconde moitié des années 1970. En outre, toutes les conditions étaient réunies pour transformer l’intérieur du bâtiment en étuve, l’automne austral n’étant pas réputé pour sa fraîcheur.

En sortant de cet authentique crime architectural, l’agent Wolf n’avait qu’une envie, changer de chemise. Tout en songeant aux maigres détails qu’on venait de lui donner sur l’affaire Thorynque, il se dirigea vers l’endroit où il pourrait appeler un taxi. Il avait oublié que le responsable local de la PFS avait mis une voiture à leur disposition.

- Eh Wolf, lui rappela Grapper, il faut qu’on passe au garage pour chercher la bagnole.
- Ah oui, c’est vrai. C’est par où ?
- Là-bas, je crois. Sur la gauche.

Les deux agents contournèrent l’immeuble obsolète et empruntèrent la rampe d’accès au parking situé en dessous. Un parking poussiéreux, bétonné, rendu uniformément gris par un éclairage crû. Ils trouvèrent bientôt le véhicule qui leur avait été apprêté, une Youngsmobile F95 bleu métallisé.

- Saloperie de bagnole nord-américaine ! s’écria Grapper en découvrant son véhicule d’emprunt.
- Plains-toi pas, on ne paiera pas l’essence, rétorqua Wolf sur un ton moqueur.

Les voitures construites au Canada ou dans le Mississippi avaient la réputation d’être de gros tombereaux impossibles à manœuvrer, lents et gourmands en eau, en huile et surtout en carburant. Quelques minutes de conduite suffirent à persuader Wolf que cette réputation n’était nullement usurpée.

- Où est-ce qu’on va, maintenant ? demanda Grapper.
- Au poste de police de quartier qui a constaté la disparition de Thorynque. De là-bas, les flics en uniforme nous emmèneront chez lui. Une fois qu’on aura fait le plein d’indices, on passera au commissariat central. Brigade des mœurs, inspecteur Allan Gold.
- La mondaine ? Notre député avait des occupations incompatibles avec son statut ?
- A ce qu’il paraît, c’est l’inspecteur Gold qui a recueilli les témoignages relatifs à la disparition de Thorynque.
- Qu’est-ce que tu penses de cette histoire ?
- Rien. On en saura peut-être plus tout à l’heure, chez Thorynque.

dimanche 25 octobre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 1

Chapitre 2



Lyon, siège central de la Police Fédérale de Sécurité, lundi 4 avril. 9 h 11.

La douce lumière du matin réchauffait le bâtiment que la PFS occupait depuis 1988 sur les berges du Rhône. Idéalement situé dans un cadre agréable, à moins d’une heure d’autoroute de la capitale de la Fédération, Genève, le QG mondial de la police fédérale faisait forte impression sur les touristes. Le majestueux bâtiment était étalé, tout en longueur, sur une étroite bande de terre coincée entre le fleuve et le vaste parc de la Tête-d’Or. Il faisait bon respirer l’air printanier. Dans le parc, le gazouillis des petits passereaux suscitait l’admiration de leurs cousins éloignés, les oiseaux que les mystères de l’évolution avaient rendus plus grands, plus intelligents, plus habiles, en un mot civilisés, et qui en cette douce matinée d’avril se hâtaient vers leurs bureaux pour y mériter leur salaire.

Un quart d’heure après son arrivée dans les locaux de la PFS, Derek Wolf tâchait de s’occuper du mieux qu’il pouvait en attendant qu’on daigne lui confier une nouvelle affaire. Face à lui de l’autre côté de la pièce, Dan Grapper terminait de la paperasserie en retard tout en avalant un café de plus en plus infect à mesure qu’il refroidissait. Quelqu’un frappa à la porte et, sans attendre la réponse, l’agent Da Costa entra dans la pièce.

- Wolf ? Grapper ? Slaughterbean veut vous voir dans son bureau.
- Tout de suite ? demanda Wolf.
- Si possible, oui.
- Tu sais de quoi il veut nous parler ? interrogea Grapper.
- Les voies du directeur adjoint sont impénétrables… répondit le chacal qui retourna sans plus attendre au travail.

En se rendant dans le bureau de Slaughterbean, les deux agents traversèrent la vaste salle commune affectée au département du directeur adjoint. Elle grouillait d’une activité intense. Agents, secrétaires, chargés de maintenance, employés de tous rangs allaient et venaient sans cesse, répondaient au téléphone, rédigeaient rapports et mémoires. A l’écart de cette agitation, le vaste bureau du « patron », comme tout le monde l’appelait dans le service (et pas nécessairement par affection), ressemblait à une oasis de calme dans la tempête. On aurait volontiers pu y rajouter l’adjectif « salvatrice », mais être convoqué dans ce bureau n’était pas toujours une partie de plaisir. En l’occurrence, Wolf sentait que lui et son collègue allaient prendre une sacrée branlée pour leur comportement à Memphis. Il n’en fut rien. Slaughterbean était en train de finir le McMorning salé qu’une jeune cane mal réveillée lui avait servi trois quarts d’heure plus tôt au restaurant McDaffy’s de la Guillotière. Bonne chose, se dit Wolf, car le directeur adjoint était de bien meilleure humeur lorsqu’il avait le ventre plein. Les deux agents adressèrent à leur supérieur un bonjour dans lequel ils mirent autant d’entrain que possible en pareille circonstance, c’est-à-dire très peu. Sans leur répondre, Slaughterbean leur fit signe de s’asseoir en terminant son jus d’orange. Puis il jeta les emballages dans sa corbeille à papiers et engagea la conversation.

- Wolf, Grapper, nous avons un problème.
- Euh… (les deux agents se regardaient, interloqués).
- … Quel genre de problème, Monsieur ? demanda finalement Wolf.
- Le député Ronnie Thorynque a disparu.
- Disparu ? A-t-il été… enlevé ?

Dans les années 1960, à l’époque de la guerre de l’Annam, les enlèvements de députés étaient monnaie courante. Les crocodiles de l’Etat-Major Général, qui avaient le gouvernement à leur botte, y avaient parfois recours pour museler l’opposition pacifiste. Les rapts ne se terminaient pas toujours bien pour les victimes… Cette période sombre de l’histoire de la Fédération Mondiale du Règne Animal avait marqué ses contemporains. Trente-cinq ans après, c’était pour certains une blessure qui ne cicatrisait pas.

- Non… Enfin, on ignore ce qui lui est arrivé. Des témoins ont affirmé l’avoir vu dans un club branché du centre de Melbourne, dans la nuit du vendredi 1er au samedi 2 avril. Le lendemain, il devait participer à une réunion de la commission parlementaire océanienne sur le respect des libertés locales. On ne l’y a pas vu. Hier, des proches lui ont rendu visite chez lui, mais sa maison était vide.
- Mais ce député avait sûrement des ennemis, dit Grapper. Peut-être qu’il trempait dans des affaires louches, ou qu’il avait mis le museau là où il ne fallait pas.
- Nous n’avons pratiquement aucune information concluante à ce sujet. Thorynque n’a pas d’antécédents criminels connus.
- Ses ennemis politiques ?
- Connaissez-vous le mouvement du député Thorynque ?
- Oui, répondit un Wolf un peu hésitant. Ce n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler un ténor de la tribune, mais son originalité est connue de la presse politique. Un peu comme le député Lamantin.
- Vous lisez la presse politique, Wolf ?
- Jamais pendant les heures de service, Monsieur.

La répartie de l’agent Wolf avait arraché à son supérieur un demi-sourire.

- Et que savez-vous de ses opinions ? reprit le directeur adjoint.
- Thorynque est un localiste. Tout le pouvoir aux municipalités, pour simplifier. Il n’a que peu d’influence en dehors de sa circonscription, celle d’Adélaïde, où il est très populaire. Son mouvement, celui des monotrèmes, est affilié au Parti des Mammifères.
- C’est exact. Lors des dernières élections, les monotrèmes ont présenté trois candidats, alors qu’il y a plus de 1.500 circonscriptions dans le monde. Seul Thorynque a été élu. Les autres, deux échidnés, ont été battus à plates coutures, à Melbourne et à Port Moresby. Autrement dit, Thorynque ne fait pas de tort à beaucoup de monde.
- Peut-être les marsupiaux régionalistes ? Leurs positions sont moins extrêmes, mais elles s’apparentent beaucoup aux siennes. Certains marsupiaux ont pu craindre sa concurrence.
- C’est possible, mais quoi qu’il en soit ce sera à vous de le confirmer ou non. Vous partez demain pour Melbourne. Le responsable de notre antenne locale vous donnera le nom des membres de la police locale à contacter.
- Pourquoi avoir fait appel à la police fédérale pour une simple disparition ? demanda Grapper.
- C’est un membre du Parlement Fédéral qui a disparu. Si peu important soit-il, l’Etat fédéral se doit de suivre cette affaire de près, ne serait-ce que pour éviter tout début de scandale. C’est pourquoi vous devrez mener cette enquête avec diligence et discrétion.
- Bien Monsieur, répondirent ensemble les deux agents.
- Votre avion part tôt demain matin pour l’Australie. Je vous donne votre journée.
- Merci, Monsieur.
- Bon voyage et bonne chance, messieurs. Et n’oubliez pas : diligence et discrétion.

Grapper et Wolf se levèrent et saluèrent leur supérieur. Décidément, ils voyageaient beaucoup ces derniers temps.

dimanche 18 octobre 2009

LSDO - chapitre 1, verset 4

PC de campagne de la PFS à Memphis, samedi 2 avril. 2 h 38.

- Grapper ! Wolf ! Bon sang, qu’est-ce qui vous a pris d’anticiper les ordres ! Tout ça aurait pu tourner au carnage !

Les deux agents n’étaient pas vraiment surpris par la soudaine colère de Slaughterbean. Pourtant, ils se jetèrent mutuellement un regard anxieux.

- J’attends ! fit Slaughterbean sur un ton encore plus sec.

Grapper, très embarrassé, se décida finalement à parler. Il ne se voyait pas vraiment avouer à son supérieur qu’il avait écouté Moldhair et ses ridicules histoires de message subliminal…

- C’est moi, Monsieur…
- Vous, Grapper ? Mais pourquoi diable avez-vous fait une connerie pareille ?
- C’est ma faute, Monsieur, dit subitement Wolf. Nous étions en place selon les ordres, mais je me suis « grillé », et Grapper a attaqué pour me couvrir…
- Je n’en crois rien ! Votre assaut était minutieusement préparé. Autrement, vous ne seriez pas là pour m’en répondre.
- Monsieur…

Fuchs Moldhair se tenait derrière le directeur adjoint, un épais dossier sous la patte.

- Un instant, Moldhair. Ce n’est pas à vous que je m’adresse.
- Monsieur, les agents Grapper et Wolf ont agi sur ma demande.
- Quoi !? Hmm, j’aurais dû m’en douter…

Slaughterbean regarda Moldhair un instant, puis se retourna pour dévisager Grapper et Wolf d’un œil courroucé. Puis il s’éloigna vers la pièce qui lui tenait lieu de bureau, se contentant de crier, après en avoir franchi le seuil :

- Agent Moldhair, dans mon bureau tout de suite !

Sans cesser de contempler la scène, Grapper se pencha vers Wolf :

- Moldhair est peut-être un cinglé, mais au moins il sait prendre ses responsabilités.

Aussitôt après, les deux agents regagnèrent leur motel, dormirent quelques heures et rassemblèrent leurs affaires.


***

Dans le fourgon qui les conduisait à leur lieu de détention, Cortex et Minus étaient assis, pensifs et silencieux. Un peu désorienté, Minus finit par demander, toujours aussi bêtement :

- Dis Cortex, qu’est-ce qu’on fera, la nuit, en taule ?
- La même chose que chaque nuit, Minus : tenter de conquérir le monde !

dimanche 11 octobre 2009

LSDO - chapitre 1, verset 3

Station de radio KM Country Music, Memphis, 23 h 18.

Moldhair, Squeully, Wolf et Grapper se faufilaient prudemment dans les couloirs sombres de la station. Trois quarts d’heure auparavant, Minus et Cortex s’y étaient introduits. Les agents de la PSF s’étaient aussitôt déployés dans et autour du bâtiment, attendant la diffusion des revendications des deux rongeurs pour donner l’assaut.

Arrivé à une intersection, Moldhair fit comprendre par gestes que lui et Squeully allaient prendre sur la droite alors que Wolf et Grapper iraient tout droit. Ces derniers obtempérèrent et, au bout de quelques secondes, arrivèrent près du studio où se trouvaient les deux suspects. Wolf, toujours accroupi, jeta un coup d’œil à l’intérieur de la pièce et évalua la situation. C’était le studio central : trois de ses quatre murs étaient partiellement vitrés. Wolf se trouvait près de la porte principale ; sur le côté droit, il y avait une petite porte de service par laquelle Moldhair entrerait. Cortex était assis à la console principale, au centre, où il préparait son forfait tout en braquant son pistolet-mitrailleur sur ses deux otages, le réalisateur et l’animateur, enfermés et ligotés dans la cabine du technicien, sur la droite. Quant à Minus, il avait posé son arme et bricolait une installation de fortune à partir du matériel pourtant moderne du studio, face à Wolf mais de l’autre côté de la pièce. Moldhair avait raison, les deux souris mijotaient quelque chose de peu ordinaire. Fuchs devait, pour couper le courant, provoquer un court-circuit en reconnectant à l’envers deux prises du panneau de commandes situé juste à gauche de la petite porte de service. A l’intérieur de la pièce, Minus achevait ses préparatifs.

- Dis Cortex, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? dit-il d’une voix aiguë et idiote.
- As-tu terminé d’installer le transpondeur à énergie ionique ? répondit l’autre sur un ton monocorde.
- Oui.
- Alors nous allons pouvoir diffuser mon message subliminal, et bientôt nous pourrons tenter de conquérir le monde.
- Oh, chic alors !

Cortex sortit une cassette de sa poche, rectifia quelques branchements sur la console et l’introduisit dans le lecteur. C’est à ce moment là que la petite porte de service s’ouvrit. Afin de créer une diversion, Squeully tira un coup de feu dans une des vitres du studio, qui vola en éclats dans un fracas épouvantable. Minus lâcha une rafale de mitraillette qui n’atteignit personne. Il n’eut pas le temps d’ajuster son tir : vif comme l’éclair, Moldhair avait déjà effectué le branchement voulu et se remit à couvert. Grillées par le court-circuit, les lampes vacillèrent, puis s’éteignirent. Le studio sombra dans une obscurité à peine tempérée par les lueurs rouges des lampes de secours. Sans laisser aux deux criminels le temps de se ressaisir, Wolf et Grapper pénétrèrent en trombe dans le studio en criant « PFS ! Les mains en l’air ! ». Joignant le geste à la parole, Grapper se jeta sur Cortex qui se laissa désarmer sans opposer de résistance, pendant que Wolf traversait le studio à toute vitesse. Minus pointait déjà son arme sur la cabine où se trouvaient les otages ; Wolf le coinça contre le mur, lui arracha son arme et le plaqua au sol. Moldhair et Squeully entrèrent à leur tour : pendant que la seconde libérait le réalisateur et son collègue animateur, le premier n’avait plus qu’à constater que tout était fini. Il s’empara du talkie-walkie accroché à sa ceinture et annonça leur victoire au directeur adjoint.

« Equipe Sierra Mike à PC. Les agresseurs sont maîtrisés. Je répète : les agresseurs sont maîtrisés »

L’assaut n’avait duré que quelques secondes. Slaughterbean avait sursauté en entendant le coup de feu tiré par Squeully. À peine s’était-il demandé ce qui se passait que la station de radio s’était retrouvée dans le noir. Et maintenant, Moldhair lui annonçait qu’il maîtrisait la situation. C’était un peu trop. Slaughterbean regarda quelques instants son talkie-walkie avec incrédulité, étouffa un juron puis se dirigea à grandes enjambées vers le studio central.

mardi 6 octobre 2009

Histoire pour tous

Nous interrompons momentanément la diffusion du Seigneur des Oiseaux pour une petite nouvelle...



J'entourage tous ceux que l'histoire intéresse à passer régulièrement sur ce tout nouveau site : http://www.histoire-pour-tous.fr/ .

Créé par une équipe de passionnés, Histoire pour tous a pour objet de proposer une large gamme d'articles consacrés aux nombreux domaines de cette discipline : histoire proprement dite mais également littérature, télévision, sites à visiter... Le tout avec une approche sérieuse mais accessible, une vulgarisation qui se veut à la portée de chacun sans pour autant tomber dans les raccourcis et la facilité.

Pour l'anecdote, j'aurai l'honneur d'y contribuer de façon sporadique.

Le site dispose également d'un forum qui vient d'être lancé : http://www.histoire-pour-tous.fr/forum.html

Bonne lecture à tous !

mercredi 30 septembre 2009

LSDO - chapitre 1, verset 2

Le briefing touchait à sa fin. Une vingtaine d’agents écoutait le directeur adjoint Pat Slaughterbean donner ses dernières instructions.

« D’après nos renseignements, les deux suspects ont l’intention de se rendre maîtres de la station de radio KM Country Music pour y diffuser leurs revendications. En somme, c’est presque un mini coup d’État. Ils sont armés et dangereux, alors soyez sur vos gardes. Chacun sait ce qui lui reste à faire. Bonne chance à tous. »

Slaughterbean était un renard corpulent et entre deux âges, dont le poil commençait à grisonner et se raréfier sur le sommet du crâne. Dan Grapper ne cessait de plaisanter (discrètement) à ce sujet ; à chaque fois, Derek Wolf mourait d’envie de lui rétorquer qu’il subirait bientôt le même sort, car la tignasse rousse de Grapper se faisait effectivement de plus en plus rase. Après avoir enfilé un gilet pare-balles, les deux agents s’apprêtaient à rejoindre leur poste quand leur attention fut détournée par des cris. Dans une salle ouverte, un peu à l’écart, un autre agent fédéral et sa coéquipière s’engueulaient comme du poisson pourri :

- Ils ne vont pas diffuser des revendications quelconques ce soir ! dit le mâle, un renard à la fourrure rousse très sombre, presque noire. Ils vont passer un message subliminal !
- Mais tu entends ce que tu dis ! rétorqua sa partenaire d’une voie crécelle. Enfin, tu n’imagines tout de même pas que ces deux rongeurs vont conquérir le monde en utilisant je ne sais quels pouvoirs paranormaux !
- Tenter de conquérir le monde, ils font ça depuis des années. Et qui te parle de pouvoirs paranormaux ? Ils vont juste diffuser un enregistrement doublé aux ultrasons. Un enregistrement dont la fréquence altérera le fonctionnement de notre cerveau et nous poussera à nous soumettre à la seule véritable autorité : la leur !
- Moldhair, ce n’est pas scientifique !
- Mais c’est ce qui va se produire si on n’intervient pas avant qu’ils diffusent leur message ! Sinon, on ne pourra rien faire !
- Salut, Fuchs ! Y a un problème ?

Moldhair et Squeully, visiblement contrariés que Grapper ait surpris et interrompu leur engueulade, ne soufflèrent mot pendant quelques instants. Ce qui permit à Wolf d’observer la jeune femelle à loisir. Dana Squeully était une très belle louve arborant une magnifique fourrure d’un roux très clair. Ce n’était pas la première fois qu’il la remarquait, et force était de constater qu’elle lui plaisait beaucoup. Malheureusement, Squeully ne se départissait pour ainsi dire jamais d’un air glacial à même de dissuader le plus esseulé des célibataires de lui adresser la parole.

- Moldhair ? reprit subitement Grapper.
- Hum, euh… Oui, Grapper, Wolf, on a besoin d’un coup de main ! Les deux zygotos ne vont pas se contenter de demander une rançon ou je ne sais quoi, ils vont diffuser un message subliminal.

Les deux agents adressèrent à Moldhair un regard incrédule sous l’œil navré de Squeully.

- Moldhair, répondit Grapper après quelques instants, je sais que toi et Squeully, vous suivez ces deux-là depuis des semaines. On respecte ton boulot, t’es un des meilleurs agents du département… Tu es sûr de ce que tu avances ?
- Je n’ai pas de preuves concrètes, si c’est ça que tu veux dire. Mais de toute façon, ce n’est pas là-dessus qu’on les condamnera.
- En admettant que tu aies raison, dit Wolf, en quoi cela nous concerne-t-il ?
- Le plan de Slaughterbean est d’attendre que le message de revendication soit diffusé, n’est-ce pas ?
- Oui…
- Ce message ne doit en aucun cas passer à l’antenne. Dans le cas contraire, leurs partisans se compteraient demain matin par dizaines de milliers.
- Et comment tu comptes faire ? demanda Grapper.
- Il faut anticiper l’assaut.
- Et désobéir aux ordres ?!
- C’est le seul moyen ! Je tacherais de couper le courant. Squeully me couvrira. C’est à ce moment là que vous passerez à l’action et les neutraliserez tous les deux.

Le regard de Wolf s’attarda sur le dossier ouvert sur la table. Parmi divers papiers trônaient les photographies de deux des plus dangereux criminels de la planète, qui allaient peut-être, cette nuit, tenter de conquérir le monde : Minus et Cortex. L’agent fixa le portrait des deux souris blanches : Minus, le serviteur zélé, à l’apparence stupide mais inquiétante ; et Cortex, le cerveau, front fuyant, crâne démesuré, regard froid, imperturbable et impénétrable. Derek Wolf songea que cette nuit, leur règne sur le monde allait peut-être commencer. Un message subliminal ? Cela semblait fou. Moldhair était coutumier de ce genre de théorie abracadabrante, une réputation qui le suivait depuis l’académie. Mais il passait aussi pour être un véritable génie. Il avait déjà résolu plusieurs affaires en apparence inextricables. Les autres agents s’étaient maintenant tus, suspendus à la réponse de Wolf.

- Ton histoire est à dormir debout, dit-il enfin, mais je te fais confiance, Moldhair. Je vais t’aider.
- Alors c’est bon pour moi aussi, renchérit Grapper.
- Merci les gars ! Je vous le revaudrai.

Les quatre agents finirent de se préparer et se rendirent aussitôt sur place.

dimanche 20 septembre 2009

LSDO - chapitre 1, verset 1

Il est temps.

À partir de maintenant, ce blog va publier, morceau par morceau, le modeste roman auquel il doit soit nom. J'en appelle à l'indulgence : ceci reste une oeuvre de jeunesse, vieille de cinq à six ans. Naturellement, cela ne doit pas vous dispenser d'émettre vos commentaires. Je m'efforcerai de publier aussi régulièrement que possible.





Chapitre 1



Memphis, continent fédéré d’Amérique du Nord, vendredi 1er avril 2003. 19 h 21.

« Fichus programmes télé ! »

Allongé sur le lit, un bras derrière la tête, l’agent fédéral Dan Grapper éteignit le poste et reposa la télécommande sur sa table de chevet dans un geste de dépit. A l’autre bout de la chambre, son coéquipier, assis à la table qui faisait office de bureau, lisait tranquillement son journal.

- Eh Derek, qu’est-ce qu’il y a dans le journal ?
- Rien d’intéressant. Juste les résultats complets des dernières élections. On votait encore hier, dans cette circonscription.
- Ah, c’est vrai…

L’agent Derek Wolf n’avait pas daigné tourner la tête pour répondre. Il se replongea aussitôt dans les pages du quotidien local. Les résultats du vote de la veille occupaient bien les deux tiers du journal. On n’élit pas tous les jours son représentant au Parlement fédéral.

« C’est donc à une large majorité que M. Colingwood a été élu député de la circonscription du Tennessee. Ce résultat ne change rien à ceux déjà acquis dans le reste du monde en février dernier… Et maintenant, la composition définitive du parlement fédéral :

Parti des Mammifères : 567 sièges (37,8%) - dont Placentaires (majorité) : 528 sièges (35,2%) ; Marsupiaux (majorité, régionalistes) : 38 sièges (2,5%) ; Monotrèmes (majorité, localistes) : 1 siège (0,1%).
Parti des Amphibiens : 328 sièges (21,9%) - dont Anoures (majorité) : 278 sièges (18,5%) ; Urodèles (opposition, centralistes) : 34 sièges (2,3%) ; Apodes (opposition, Troisième Voie) : 16 sièges (1,1%).
Parti des Reptiles : 605 sièges (40,3%) - dont Sauriens (opposition, centralistes radicaux) : 356 sièges (23,8%) ; Ophidiens (opposition, centralistes modérés) : 227 sièges (15%) ; Chéloniens (majorité) : 22 sièges (1,5%).

… La coalition gouvernementale fédéraliste, malgré l’importante progression du Parti des Reptiles, dispose d’une majorité suffisante (au moins 867 sièges sur 1.500, soit près de 58% des voix)… C’est donc sans surprise que l’on retrouve 15 mammifères au sein du gouvernement fédéral… »

Derek arrêta là sa lecture. Il avait parcouru dans tous les sens les résultats électoraux lors des semaines précédentes et tout ce qui était écrit à ce propos dans le journal, il le savait déjà. L’agent fédéral chercha en page Mondial de quoi satisfaire sa curiosité. Il finit par trouver l’entrefilet tant attendu.

« Océanie : pas de cour de cassation pour l’empereur de la drogue
La cour d’appel fédérale de Surabaya a rejeté hier le pourvoi en cassation de « l’empereur » de la drogue océanien, Hartono Komodo… Komodo, âgé de 54 ans, avait été condamné à 30 ans de réclusion pour ses activités criminelles, en janvier dernier… Komodo avait été capturé à l’issue d’une enquête très délicate, menée pendant près d’un an par la Police Fédérale de Sécurité sous la houlette du directeur adjoint Pat Slaughterbean… A bord du yacht de Komodo avaient été saisis, lors de son arrestation, près d’une tonne d’héroïne ainsi qu’une collection d’objets d’art acquis illégalement, dont certains d’une grande valeur historique… »

L’agent Wolf se laissa aller à un petit sourire de satisfaction qui découvrit ses crocs. Pendant plus d’un an, lui et ses collègues avaient réuni preuves et indices pour coincer Komodo, qui exportait tellement de drogue qu’on en arrivait à dire de lui qu’il finirait par noyer le monde dans l’héroïne. Le Ministre de la Sécurité Publique avait tenu à féliciter en personne Slaughterbean et son équipe. Comme lui, Derek pouvait s’estimer satisfait : Komodo allait passer trente ans derrière les barreaux. La PFS n’avait pas travaillé pour rien. Derek se gratta l’extrémité inférieure du museau avec ses griffes, lissa sa belle fourrure gris-beige, puis regarda son image dans le miroir accroché au mur face à lui, et se dit que finalement, il n’était pas trop mal pour un loup célibataire. Il voulut montrer à Grapper l’article du journal mais n’en eut pas l’occasion : le téléphone de son équipier venait de sonner.

« Grapper… Oui… On arrive tout de suite ! »

Le renard raccrocha aussitôt et se leva d’un bond.

- Qu’y a-t-il ? demanda Derek.
- C’est pour ce soir. Briefing à 20 h 00 au PC.

Sans plus attendre, les deux agents enfilèrent par-dessus leur chemise blanche une veste bleu marine, frappée dans le dos des initiales PFS en jaune, puis quittèrent le motel.

samedi 22 août 2009

Reportage exclusif : la conspiration progresse !

Lors d'une mise à jour précédente, je me demandais si certains n'attendaient pas que je leur offre un voyage à Disneyland Paris pour ouvrir les yeux sur la réalité du complot anatidé.

Eh bien, c'est exactement ce que j'ai décidé de faire, grâce à ce reportage photo de notre envoyée spéciale sur place. Vous pourrez constater que la mainmise des canards sur ce lieu très fréquenté, aux portes de notre capitale, est plus qu'inquiétante.


Tout commence par une vue paisible d'un lieu dédié aux loisirs, au repos et à la volupté. Bon, peut-être que j'en fais un peu trop concernant la volupté. N'empêche. À y regarder de plus près, tout n'est pas si calme...

ILS sont là ! Et ils ne font pas que se baigner tranquillement en famille ; cela, vous le savez depuis notre reportage sur les canards de St-Pétersbourg en hiver.

Non, ils espionnent, l'air de rien. Comme celui-ci, par exemple, qui nous regarde du coin de l'oeil. Oui, du coin, vous avez bien lu.

Bien sûr, une fois repéré, le volatile espion tente de s'éclipser l'air de rien. Mais il s'est définitivement fait capter.

Il va alors donner l'alerte, discrètement. Car ne croyez pas qu'il va se mettre à cancaner gaiement histoire d'ameuter toute la mare. Non, le palmipède infiltré est plus malin que ça.

Comment s'y prend-il ? Très simple, et c'est notre correspondante qui nous l'a fait remarquer. Observez bien la position croisée de ses ailes !

Un code, un signe de ralliement, que sais-je encore...

Ainsi repérée dès son arrivée, notre correspondante n'allait plus être lâchée d'une semelle.

Marchant dans une allée isolée, elle eut subitement la sensation d'être observée. Puis, toujours selon son récit, quelque chose attira son attention au pied d'un arbre.

Gaulé ! Et avec une tenue camouflée, en plus. Si ce n'est pas la preuve qu'il a quelque chose à se reprocher. Encore plus pathétique, l'apprenti James Bond emplumé fait ici semblant de dormir...

Plus tard, c'est une silhouette malveillante qui se détache de l'atmosphère pluvieuse d'une fin de journée à Disneyland, alors que notre correspondante regagne son hôtel.

Et le lendemain matin, sitôt l'hôtel quitté, la traque recommence. Ou plutôt, aurait dû recommencer, car les oiseaux sont complètement pris en défaut par cette sortie matinale.

Certains dorment encore...

... tandis que d'autres achèvent nonchalamment leur toilette. Mais la traque va bien vite reprendre, jusqu'au coeur des attractions !

Les trois volatiles ont repéré leur cible. Ils s'en approchent...

... sous l'oeil légitimement apeuré du jeune homme en haut à gauche. Celui-ci doit savoir jusqu'où les canards sont prêts à aller pour corrompre notre belle jeunesse !

Ensuite ils établissent le contact...

... puis mettent les voiles - ou plutôt, les palmes. En effet, ils n'étaient là qu'en mission de reconnaissance. C'est un autre de leurs congénères qui va mener la phase suivante de ce qui s'apparente bel et bien à une opération finement planifiée depuis le début...

... l'attaque ! Face à l'irruption de ce volatile agressif, notre correspondante n'a eu la vie sauve que par un heureux concours de circonstances : elle était en train de manger un muffin à la myrtille.

Elle eut alors la présence d'esprit de lui en jeter une miette, que notre agresseur au cerveau étriqué s'empressa d'aller stupidement picorer à mort.

Notre correspondante comprit alors qu'elle n'était décidément pas la bienvenue à Disneyland Paris, où manifestement, ce sont à présent les canards qui font la loi. Ce serait anecdotique si le parc d'attraction ne recevait pas des millions de visiteurs par an...


Pourquoi croyez-vous qu'ils y ont fait leur coming-out ?

vendredi 7 août 2009

La news de l'été

Chères lectrices, chers lecteurs.

Vous l'aurez remarqué, la promesse de mises à jour régulières à la suite de mon retour de Russie a fait, disons, long feu. Oui, je sais, bouh, pas bien, c'est mal, et tout ça.


Mais c'était pour une bonne raison : après s'être lamentablement planté dans la reliure de l'exemplaire papier du Seigneur des Oiseaux destiné à la Société des gens de lettres, votre serviteur a finalement trouvé le moyen d'en expédier une version sur support numérique, qui a été enregistrée aujourd'hui même. Voilà LSDO protégé pour quatre ans, hosanna.


Vous ne pourrez plus me le piquer, sales canards !



Attendez-vous donc prochainement à la mise en ligne, épisode par épisode et ici-même, du plus extraordinaire et ridicule roman de l'histoire de la littérature aviaire ! Mais avant cela, c'est un reportage inédit qui enrichira ce blog...