dimanche 29 novembre 2009

LSDO - chapitre 3, verset 1

Chapitre 3



Antenne locale de la PFS, Melbourne, jeudi 7 avril. 21 h 41.

A cause du décalage horaire, Wolf et Grapper avaient dû attendre le soir pour contacter Slaughterbean. Les bureaux étaient fermés mais par bonheur, la permanence nocturne des locaux de la PFS de Melbourne leur avait permis d’accéder sans encombre au téléphone-satellite qui reliait en permanence l’antenne océanienne au QG mondial de la police fédérale, à Lyon. Pendu au combiné, Derek Wolf attendait que Slaughterbean daigne répondre sur sa ligne directe.

- Slaughterbean !
- Monsieur, ici l’agent Wolf, depuis Melbourne.
- Bonjour, Wolf. Votre séjour a-t-il été fructueux ?
- Monsieur, je dois vous rendre compte d’un incident qui s’est produit hier soir…
- Laissez tomber, agent Wolf. Je suis déjà au courant. Ces messieurs de l’ASF sont venus vous annoncer que vous étiez dessaisi de l’affaire ? Ils adorent faire ça, surtout s’ils peuvent déranger nos agents en pleine nuit.
- Monsieur, si je puis me permettre… Que s’est-il passé ?
- Eh bien, l’affaire est sûrement arrivée sur le bureau de notre nouveau Ministre de la Sécurité Publique, qui comme vous le savez, n’est autre que l’ancien directeur de l’ASF.
- Shaka Simba…
- Lui-même. Mais peu importe. J’ai un autre travail pour vous. Demain… quelle heure est-il à Melbourne ?
- Presque 22 heures, Monsieur.
- Demain, vous prendrez l’avion pour Surabaya, où vous enquêterez sur l’assassinat d’un professeur d’archéologie. Il a été tué par balles il y a 24 heures environ.
- En quoi cela concerne-t-il les autorités fédérales ?
- On a peu d’informations pour le moment, mais il semble que ça ait un rapport avec Komodo… L’antenne locale vous renseignera une fois sur place. Tenez-moi au courant. Au revoir.

Wolf raccrocha le combiné et soupira une fois de plus. Grapper, qui avait tout entendu grâce au haut-parleur, ne tarda pas à l’imiter.

dimanche 22 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 5

Université de Surabaya, département d’archéologie, mercredi 6 avril 2003. 21 h 35.

Fenêtre ouverte mais moustiquaire baissée, la salle 101 du département d’archéologie laissait échapper une lumière jaune qui, à elle seule, contrastait avec les autres bâtiments de l’université. Situé un peu à l’écart de la grande métropole indonésienne, le campus de Surabaya était construit en bordure d’une vaste forêt. Parfois, de petits singes sauvages venaient s’égailler sur ses pelouses, pour le plus grand bonheur des étudiants dont beaucoup étaient leurs cousins évolués. Plus prosaïquement, le campus était littéralement envahi par les insectes et la nuit, l’usage des moustiquaires était indispensable.

Eclairé par sa petite lampe de bureau, Rupert Zeller, un orang-outan massif, velu et grisonnant, s’escrimait toujours à déchiffrer le manuscrit qu’il avait sous les yeux. Il aimait l’atmosphère tranquille du campus, le soir, après la fin des cours. Il la trouvait propice au travail, et n’hésitait pas à y rester pour travailler pendant des heures, parfois très tard dans la nuit. Ce soir-là, Zeller était fatigué, mais il voulait absolument progresser dans la traduction de ce parchemin. Il déroula précautionneusement le fragile rouleau, vieux de plusieurs siècles, et se remit à l’ouvrage.

Dans le grand hévéa, sur une branche basse face à la fenêtre éclairée située au premier étage du bâtiment, une silhouette incongrue l’épiait. Agrippée au tronc, la créature déplaça ses mains difformes, aux interminables doigts crochus et squelettiques. Puis elle avança son visage dans le rais de lumière qui s’échappait de la fenêtre, tout en restant à distance respectueuse. Ses grands yeux ronds, démesurés, lui mangeaient plus de la moitié du visage. La lumière de la lampe rétrécissait ses pupilles, rendant ses globes oculaires encore plus jaunes et plus brillants que de coutume. Enfin, son nez et sa bouche, minuscules, dessinaient un rictus qui évoquait presque la folie. L’animal observa l’archéologue travailler un moment. Quand Zeller entendit un bruit et se retourna, la créature haussa les arcades sourcilières, ce qui lui donna un air halluciné, et se cacha dans l’ombre.

Dans la nuit, deux coups de feu claquèrent.


***

Hôtel Down Under, Melbourne, jeudi 7 avril. 2 h 03.

Décidément, cette affaire ne sentait pas bon. Même si les deux agents de la PFS en savaient plus sur ce dossier depuis leur descente au Darwin’s, le cas Ronnie Thorynque restait une énigme. Le soir de sa disparition, le député avait manifesté un comportement étrange. C’était toujours un commencement de piste, mais ça ne disait pas vraiment ce qui lui était arrivé. « Non, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce dossier », se disait Wolf. C’était le genre d’affaire où le génie de Fuchs Moldhair aurait été d’une aide précieuse. Oui, Moldhair, avec son invraisemblable capacité à sauter directement à la conclusion, était vraiment le meilleur pour ce genre de cas mystérieux. Les conclusions en question n'étaient pas toujours les plus pertinentes, encore moins les plus orthodoxes, mais son imagination prolixe avait au moins le mérite de suggérer des pistes à explorer. Mais Moldhair n’était pas là, et Wolf comme Grapper allaient devoir se débrouiller avec leurs propres moyens. Ils étaient en train d’échanger ces impressions dans la chambre de Wolf quand on frappa à la porte. À deux heures du matin, c’était tout sauf normal. Par prudence, Derek prit son arme de service avant de s’approcher de la porte tandis que Grapper se maudissait intérieurement d’avoir laissé la sienne dans sa chambre. L’arme au poing, Wolf ouvrit prudemment, prêt à faire face à l’éventuel agresseur. Un guépard et une panthère noire se tenaient dans le couloir, l’expression figée. Costume noir impeccable pour le premier, jupe courte et bottines de cuir pour la seconde, lunettes noires pour les deux. La dégaine du parfait officier de l’Agence de Sûreté Fédérale.

- Agent Derek Wolf ? fit abruptement le guépard sur un ton glacial.
- C’est moi, répondit Wolf toujours méfiant.
- Agents spéciaux Gerard et Masinga, ASF. Nous souhaiterions vous parler au sujet de l’affaire Ronnie Thorynque.
- Oui, entrez, fit Wolf en rengainant discrètement son pistolet.
- Ce ne sera pas nécessaire. A partir de maintenant, cette affaire passe sous la juridiction de l’Agence de Sûreté Fédérale. La PFS est dessaisie du dossier. Vous devez cesser immédiatement toutes vos investigations. C’est à présent notre enquête.

L’agent Wolf ne put, malgré ses efforts, cacher sa surprise et son incrédulité. Il tenta malgré tout de réagir.
- Eh bien… Je dois d’abord en référer à mes supérieurs…
- Faites ce que bon vous semble, répondit sèchement Gerard. Pendant ce temps, nous allons nous mettre au travail.

Sans rien ajouter de plus, les deux félins tournèrent les talons et s’engouffrèrent dans l’ascenseur. Wolf referma la porte, soupira en adressant un œil noir à Grapper, puis s’allongea sur son lit. Sans un mot, les deux agents allèrent se coucher.

mardi 17 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 4

Club Darwin’s. 23 h 50.

L’enseigne du Darwin’s, une tortue lumineuse dont le rose fluo siéait à merveille à ce genre d’endroit, éclairait d’une faible lumière la petite rue miteuse où le club était installé. Précédés des deux inspecteurs de la police des mœurs, Wolf et Grapper s’approchèrent du videur, un grand hippopotame débordant de muscles engoncé dans un blouson de cuir. L’air peu commode, il regarda les quatre mâles en costard-cravate venir vers lui.

- Salut Charlie ! fit Gold. Ça a l’air calme, ce soir.
- Ça va pas tarder à bouger, répondit l’hippo. Sophie passe dans dix minutes. Tu viens pour le boulot ou pour le plaisir ?
- Pour le boulot.
- C’est qui, ces deux là ? demanda le physio en désignant Grapper et Wolf.
- Des amis. Charlie, tu ne devrais pas être trop curieux avec eux. Autrement, je pourrais subitement me souvenir que tu portes un Colt .45 sous ton cuir.
- C’est pour ma sécurité, répliqua Charlie d’un ton mal assuré.
- Peut-être, mais ta sécurité nécessite théoriquement un permis de port d’arme en bonne et due forme. Mes amis veulent savoir ce que tu as vu vendredi soir.
- Mais je te l’ai déjà raconté…
- Et bien répète-leur…
- Avez-vous vu le député Ronnie Thorynque ce soir-là ? enchaîna Wolf.
- Oui…
- Il vient souvent ici ? demanda Grapper.
- C’est un de nos habitués.
- Et est-ce que vous avez remarqué quelque chose d’inhabituel ? reprit Wolf.
- Pour sûr ! En arrivant vers onze heures, comme d’habitude, il était normal, tout allait bien. Mais en repartant, il était… différent. Il avait pas l’air dans son assiette.
- Vous voulez dire qu’il était malade ? Ivre ?
- Non, il semblait en bonne santé et ne boit presque rien quand il est ici. Mais il ne m’a même pas répondu quand je lui ai dit bonsoir, alors qu’il est toujours très poli avec tout le monde dans la boîte. Et il ne semblait plus savoir où il était. Il a été à droite, puis à gauche, et puis il s’est éloigné.
- Quelle heure c’était ?
- Une heure et demie, à peu près.
- Rien d’autre ?
- Non… Vous devriez causer à Lily, Thorynque était un de ses clients favoris. Elle est là ce soir.

Wolf et Grapper firent un pas en arrière, signe que l’interrogatoire était terminé. Charlie se retourna vers Gold. Derrière le petit groupe, quelques postulants à l’entrée s’impatientaient.

- Bon, vous rentrez alors ? J’ai du monde, moi…
- Ouais, on va faire un tour, répondit Fenwick tout sourire.

Les quatre flics pénétrèrent dans le club Darwin’s. Ils furent aussitôt assaillis par une atmosphère suffocante, chargée de bruit et de fumée. La sono jouait à tue-tête un morceau de R’n’B sulfureux. Wolf fit son possible pour ne pas y prêter attention, car il détestait ce genre de musique. Gold dut hausser le ton pour pouvoir se faire comprendre.

- On a de la chance ! On arrive juste à temps pour le numéro de Sophie la Girafe.
- Qui est-ce ? demanda Wolf.
- La vedette de la boîte ! Sophie est divine. Elle a des jambes… interminables. Un rêve ! De quoi redonner leur virilité aux plus anciens pensionnaires des services de gériatrie !
- Et encore, il n’y a pas que les jambes, dit Fenwick en passant sa patte dans les poils blonds de son crâne, entre ses oreilles démesurées et pointues.
- Pour sûr ! reprit Gold. Une langue de 45 centimètres, ça laisse rêveur, non ?

Ce qui était certain, c’est que Gold et Fenwick n’étaient pas à la brigade des mœurs par hasard. Deux vrais obsédés sexuels. Nul doute qu’ils prenaient souvent plaisir à faire leur métier. Grapper, quant à lui, se trouvait juste derrière Fenwick. Malgré la fumée et les relents de toutes sortes qui régnaient dans la boîte de nuit, il put constater que l’hygiène corporelle du fennec était vraisemblablement des plus douteuses. Et dire qu’on lui avait appris, à l’académie, à se méfier des idées reçues ! Sur la scène principale, Sophie la Girafe était maintenant en pleine action. Elle portait sur elle si peu de tissu qu’on pouvait légitimement se demander de quelle manière elle pourrait réaliser un numéro de strip-tease d’une demi-heure sans se retrouver complètement nue au bout de cinq minutes. Pour l’heure, agrippée à une barre de métal verticale, elle se livrait à des déhanchements suggestifs qui mettaient savamment en valeur ses interminables jambes, rehaussés par de magnifiques porte-jarretelles noirs. Le tout sous l’œil avide de la clientèle du Darwin’s, en majorité des kangourous assez friqués. Constatant que les deux inspecteurs gardaient les yeux rivés sur la scène, Wolf se mit en devoir de les rappeler à leur mission.

- On est ici pour le boulot, inspecteur Gold. Vous vous souvenez ?
- Ouais… Venez, on va parler au patron.

Le patron, un pélican avec costume blanc, lunettes noires et plumes grises gominées, se tenait à une petite table, dans un coin éclairé subtilement par un spot bleu, près du bar. Il prit aussitôt un air inquiet quand il vit les quatre flics approcher.

- Ma, Al, qu’est-ce que tu fiches encore ici ? demanda-t-il avec un exécrable accent méditerranéen.
- Le boulot, Boss, répondit Gold en prenant un air candide. Mes deux amis voudraient parler à Lily.

Le pélican jaugea quelques instants les deux agents de la PFS, puis secoua vigoureusement son goitre. Sur la scène, Sophie dessinait de sa langue violette d’élégantes arabesques, excitant plus que jamais la convoitise de son public.

- Elle est encore sur scène, dans la salle du bas.
- Alors fait la monter.
- Mais c’est pas possible… J’ai un gros client ce soir, et il va bientôt passer en cabine avec elle…
- Boss, tu vois, j’ai rien contre toi… Je m’en voudrais de mettre le museau par hasard dans tes livres de comptes, alors…
- D’accord, je vais la chercher. Passez en coulisse.
- Merci, Boss.
- Ma, de rien. Ça me fait toujours plaisir de te rendre service, fit le patron de la boîte avec un sourire forcé.

Quelques minutes plus tard, les quatre agents purent rencontrer Lily la Tigresse dans sa loge. La strip-teaseuse avait enfilé un peignoir et fumait une cigarette.

- Lily, ces messieurs veulent te poser quelques questions, fit le Boss avant de se retirer.
- C’est à propos de Ronnie Thorynque, ajouta Gold.
- Qu’est-ce que je peux faire ?
- Avez-vous remarqué quelque chose d’anormal dans son comportement, vendredi dernier ? demanda Wolf.
- En début de soirée, tout allait bien. Et puis, au bout d’une demi-heure, il a commencé à changer. Tantôt il avait les yeux dans le vague, tantôt il s’éloignait et revenait sans raison. D’habitude, il est toujours très assidu. Il passe la soirée à mater mes numéros. Là, il n’avait plus l’air de savoir où il était.

Pendant que Lily parlait, Fenwick cherchait visiblement à regarder sous son peignoir. Grapper, qui l’observait, était consterné. Il n’était pas forcément contre ce genre de bagatelle, mais là, c’en était franchement écœurant.

- Est-ce qu’il avait trop bu ? poursuivit Wolf. Pris de la drogue ?
- Vous voulez rire ? Ronnie s’est contenté d’une tequila sunrise, comme à chaque fois. C’est un client réglo. Il me matait sans arrêt, me laissait de gros pourboires, mais c’était pas le genre à passer dans les cabines avec moi…
- Il était seul ?
- Je ne l’ai jamais vu adresser la parole à quelqu’un d’autre qu’au Boss, à Charlie ou au barman. Des fois, on discutait après mes shows. Il était très seul, vous savez. Alors pour se vider la tête, il venait régulièrement ici. En quelque sorte, c’est un de mes fans…
- Bien, c’est tout. Merci mademoiselle.
- Vous allez le retrouver ? Vous savez, c’est un type bien…
- On va faire de notre mieux, conclut Wolf.

dimanche 8 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 3

Commissariat central de Melbourne. 17 h 36.

Les deux agents de la PFS avaient passé la plus grande partie de la journée à fouiller tout ce qui pouvait l’être dans la demeure de Ronnie Thorynque, une villa confortable située dans un quartier plutôt aisé de la proche banlieue de Melbourne. Malgré la bonne volonté des agents en tenue mis à leur disposition, ils n’avaient pas déniché le moindre petit indice. Pas de trace d’effraction ou de visite incongrue, aucun objet suspect ou manquant. Rien de particulier dans les papiers du député, rien d’anormal, rien qui ait pu éclairer la lanterne des deux fédéraux, rien du tout, rien, rien, rien. Un vrai cauchemar. À en croire ses affaires, Ronnie Thorynque n’avait pas le moindre relief dans sa vie, pas le moindre petit péché à se faire reprocher. Dépités, Wolf et Grapper avaient finalement décidé de mettre un terme à cette longue séance de frustration afin de se rendre au commissariat central avant la fermeture des bureaux. Ils tournaient depuis près d’un quart d’heure pour se garer lorsque Grapper indiqua à son équipier une place libre. Toutefois, devant l’impressionnant gabarit de son véhicule, Wolf renonça rapidement à tenter un créneau et se rangea en double file.

Dans les bureaux de la police de Melbourne, l’air était chaud et sentait la fin de journée. Le soleil était bas, et la température montait rapidement malgré les efforts d’une climatisation à bout de souffle. À Lyon, personne n’aurait eu l’idée d’enclencher l’air conditionné à cette époque de l’année. Sur les indications d’une jeune et ravissante renarde stagiaire, Wolf et Grapper pénétrèrent dans le bureau de l’inspecteur Allan Gold, de la brigade des mœurs. Si les locaux qu’ils avaient traversés jusqu’ici sentaient la fin de journée, celui occupé par Gold et son adjoint sentait vraiment le fauve. Ce qui n’était guère surprenant en vérité, se dit l’agent Wolf en grimaçant, car il avait en face de lui un chacal et un fennec.

- Inspecteur Gold ? Police Fédérale de Sécurité. Je suis l’agent Derek Wolf et voici l’agent Dan Grapper. Nous enquêtons sur la disparition du député Ronnie Thorynque.
- Ah, l’affaire Thorynque ? Bienvenue dans nos locaux. Je suis l’inspecteur Allan Gold, de la brigade mondaine, et voici mon partenaire l’inspecteur Richard Fenwick.

Gold se leva pour serrer la patte des deux agents fédéraux. Wolf et Grapper voulurent faire de même avec Fenwick, mais ils s’en abstinrent après s’être aperçus que c’était de son bureau qu’émanait l’air le plus nauséabond. Dans la pièce flottait une poussière omniprésente, illuminée par les rayons obliques du soleil ; un bordel innommable régnait sur les bureaux des deux inspecteurs, avec force paperasses, tasses à café sales et restes de junk food.

- Alors, qu’est-ce qu’on vous a dit sur cette histoire ? demanda Gold en s’affalant sur sa chaise.
- Eh bien, on nous a signalé que Thorynque avait été vu pour la dernière fois en sortant d’une boîte de nuit branchée du centre-ville…
- Le Darwin’s, une boîte de nuit branchée ? s’esclaffa Gold. Ha ha ! Vous les fédéraux, vous avez de ces expressions…
- … une boîte à putes, ouais ! s’exclama Fenwick sans bouger de son coin.
- … disons plutôt un club de strip-tease, pour employer un langage correct, reprit Gold avec un sourire en coin.
- Peu importe ce que c’est que le Darwin’s, rétorqua Grapper l’air contrarié. C’est bien vous qui avez recueilli les seuls témoignages sur la disparition de Thorynque, inspecteur Gold ?
- C’est bien ça ; mais je vous en prie, appelez-moi Al.
- Dans quelles circonstances avez-vous recueilli ces témoignages ? demanda Wolf.
- En allant à la pêche aux infos au Darwin’s, comme d’habitude. Il y passe beaucoup de monde, on peut y apprendre pas mal de trucs. On rencontre souvent nos indics là-bas. Avec tout ce peuple, on passe inaperçu.
- Qui sont les témoins ? fit Grapper.
- Le physio à l’entrée, et une des filles de la boîte.
- Comment peut-on les contacter ?
- Le mieux est de se rendre directement au Darwin’s.
- Eh bien, dit Wolf, pouvez-vous nous y conduire maintenant ?
- A cette heure ci ? C’est encore fermé. Le Darwin’s ouvre assez tard. Le mieux, proposa Gold sans se départir de son sourire en coin, c’est d’y passer ce soir, pendant les heures de travail, si vous voyez ce que je veux dire…
- Comme ça, vous pourrez profiter du spectacle, crut bon d’ajouter Fenwick. Joindre l’utile à l’agréable, en quelque sorte.

Les deux flics éclatèrent d’un rire gras. Grapper et Wolf se regardèrent quelques instants, puis acquiescèrent. L’idée n’était pas vraiment à leur goût, mais il leur fallait bien composer avec ces gars de la mondaine s’ils voulaient recueillir des informations rapidement. Et puis, leurs séminaires de formation, à Lyon, ne mettaient-ils pas l’accent sur les trois Di, diligence, discrétion et diplomatie ? De réunions en brainstormings, les cadres de la PFS ne cessaient d’inciter leurs subordonnés à se montrer respectueux des officiers des polices locales, à ne pas empiéter sur leur juridiction, à ménager leur susceptibilité. Alors ? Va pour le Darwin’s, puisqu’il fallait en passer par-là.

samedi 7 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 2

Melbourne, antenne locale de la PFS, mercredi 6 avril. 9 h 49.

Tout, dans le bâtiment de l’antenne locale de la PFS à Melbourne, suggérait qu’il avait été construit à coup de rallonges budgétaires de plus en plus étriquées. Une façade sale, ternie par la pollution et les petits pigeons sauvages, peinte avec des couleurs criardes rendues pastel par les outrages du temps. Des cloisons en plastique mal isolées par une couche trop mince de laine de verre, et de grandes fenêtres laissant entrer davantage de chaleur que de lumière. En somme, l’expression même du « pas cher – vite fait – mal fait – mauvais goût » de la seconde moitié des années 1970. En outre, toutes les conditions étaient réunies pour transformer l’intérieur du bâtiment en étuve, l’automne austral n’étant pas réputé pour sa fraîcheur.

En sortant de cet authentique crime architectural, l’agent Wolf n’avait qu’une envie, changer de chemise. Tout en songeant aux maigres détails qu’on venait de lui donner sur l’affaire Thorynque, il se dirigea vers l’endroit où il pourrait appeler un taxi. Il avait oublié que le responsable local de la PFS avait mis une voiture à leur disposition.

- Eh Wolf, lui rappela Grapper, il faut qu’on passe au garage pour chercher la bagnole.
- Ah oui, c’est vrai. C’est par où ?
- Là-bas, je crois. Sur la gauche.

Les deux agents contournèrent l’immeuble obsolète et empruntèrent la rampe d’accès au parking situé en dessous. Un parking poussiéreux, bétonné, rendu uniformément gris par un éclairage crû. Ils trouvèrent bientôt le véhicule qui leur avait été apprêté, une Youngsmobile F95 bleu métallisé.

- Saloperie de bagnole nord-américaine ! s’écria Grapper en découvrant son véhicule d’emprunt.
- Plains-toi pas, on ne paiera pas l’essence, rétorqua Wolf sur un ton moqueur.

Les voitures construites au Canada ou dans le Mississippi avaient la réputation d’être de gros tombereaux impossibles à manœuvrer, lents et gourmands en eau, en huile et surtout en carburant. Quelques minutes de conduite suffirent à persuader Wolf que cette réputation n’était nullement usurpée.

- Où est-ce qu’on va, maintenant ? demanda Grapper.
- Au poste de police de quartier qui a constaté la disparition de Thorynque. De là-bas, les flics en uniforme nous emmèneront chez lui. Une fois qu’on aura fait le plein d’indices, on passera au commissariat central. Brigade des mœurs, inspecteur Allan Gold.
- La mondaine ? Notre député avait des occupations incompatibles avec son statut ?
- A ce qu’il paraît, c’est l’inspecteur Gold qui a recueilli les témoignages relatifs à la disparition de Thorynque.
- Qu’est-ce que tu penses de cette histoire ?
- Rien. On en saura peut-être plus tout à l’heure, chez Thorynque.