Musée National de Tokyo, 5 h 29.
Derek Wolf bailla et s’étira nonchalamment, puis se leva de l’inconfortable sofa sur lequel il avait dormi, en se félicitant de ne pas avoir trop mal au dos. Quittant la « salle de repos », il retourna vers la cellule de crise pour relever Grapper. Lorsqu’il vit son équipier fixer l’écran de ses yeux cernés et mi-clos, il se dit qu’il avait bien fait de ne pas dormir trop longtemps. Pourtant, la voix du renard prit un timbre étonnamment vif quand il annonça à Wolf les résultats de ses investigations nocturnes.
- Derek, tu ne vas pas en croire tes oreilles.
- Quoi donc ?
- Hier soir, Ronnie Thorynque a fait une réservation à son nom, pour une place à bord d’un vol long-courrier de la Japan Air Lines à destination de Toronto, au Canada. Tu le crois ça ?
- Peut-être que la facilité avec laquelle il a berné les alarmes du musée l’a mis en confiance, et qu’il s’imagine pouvoir quitter le Japon tout aussi facilement.
- Peut-être aussi qu’il nous mène en bateau…
- En tous cas, ça ne coûte rien de suivre cette piste. Agent Toyoda, demanda Wolf en se retournant vers son collègue nippon, le labo a-t-il découvert comment Thorynque a fait pour éviter les alarmes ?
- Pas vraiment, répondit Toyoda l’air épuisé. Ils savent juste que les caméras ont été brouillées par un puissant champ électromagnétique. Ils ont pu en déterminer la fréquence, ce qui leur a permis de nettoyer l’image, mais pas l’origine exacte.
Grapper s’apprêtait à rejoindre à son tour la prétendue salle de repos quand il se ravisa.
- Au fait, dit-il à Wolf, on a aussi trouvé quand et comment Thorynque est arrivé à Tokyo. Samedi soir, à 19 h 56, aéroport de Haneda. Et devine d’où provenait son vol…
- Laisse-moi essayer, répondit le loup en se prêtant au jeu. Surabaya ?
- Gagné ! J’ai vérifié les horaires, ça colle. Thorynque a eu tout le temps nécessaire pour se rendre à Surabaya, tuer Zeller et voler le manuscrit, puis venir à Tokyo voler les joyaux. Son avion décolle de ce même aéroport de Haneda, ce soir, à 18 h 02. Cette fois, on le tient !
- Tu m’étonnes ! Va te reposer, Dan. Pendant ce temps, je vais organiser une petite fête à l’intention de M. le député Ronnie Thorynque…
Grapper quitta la salle en poussant un formidable bâillement. Toyoda, qui n’avait pas fermé l’œil depuis près de vingt-quatre heures, ne tarda pas à lui emboîter le pas sur l’injonction de Wolf. Ce dernier se mit à communiquer fiévreusement, toujours par l’intermédiaire du réseau protégé, avec le service des douanes et les différents aéroports du pays. Sans négliger la possibilité d’un leurre, il mit sur pied un piège qui se refermerait implacablement sur le voleur. La police de Tokyo fournirait le gros de l’effectif, que compléterait le personnel local de la PFS, le tout chapeauté par Toyoda, Grapper et lui-même. Vers huit heures, il s’estima assez satisfait de son plan pour s’autoriser une pause café.
Pendant qu’il contemplait le fond de son gobelet en plastique, perdu dans ses pensées et ses plans d’action, l’agent Wolf entendit la porte du petit local qui servait de PC à la « cellule de crise » s’ouvrir, puis aperçut du coin de l’œil deux silhouettes s’approcher dans la pénombre. Il leva la tête, dévisagea quelques instants les nouveaux arrivants et jeta aussitôt son gobelet à demi plein dans la corbeille à papier. La violence inattendue de son geste fit sursauter Matsushita et ses deux employés, qui continuaient à assister Wolf de leur mieux en dépit d’une fatigue de plus en plus prononcée.
- M. Matsushita, allez donc vous reposer je vous prie, ordonna l’agent de la PFS sans cesser de fixer les deux personnes qui se tenaient face à lui.
- Mais je vous assure que…
- S’il vous plaît, M. Matsushita…
En dépit de la politesse du propos, le ton ne laissait guère d’alternative au macaque. Il se retira aussitôt, entraînant avec lui ses deux employés. Wolf prit une profonde inspiration et s’avança vers les deux agents de l’ASF, ceux-là même qui avaient récupéré le dossier Thorynque à Melbourne.
- Agent Derek Wolf ? demanda le guépard sans se départir de ses lunettes noires, et ce bien qu’il fasse à peine jour.
- Vous savez très bien qui je suis, répondit le loup sur un ton franchement peu amène. Qu’est-ce que vous faites ici ?
- Comme vous le savez, reprit son interlocuteur imperturbable, nous sommes en charge de l’affaire concernant la disparition du député Ronnie Thorynque. Et notre enquête nous a conduit jusqu’ici.
- C’est-à-dire jusqu’à l’endroit où elle s’arrête, contre-attaqua énergiquement Wolf.
Le masque impassible du guépard commença à se fissurer. Sous les lunettes opaques, ses traits se durcirent. Au vu de la facilité avec laquelle il avait mis les deux agents de la PFS sur la touche à Melbourne, il croyait pouvoir en imposer suffisamment à Wolf pour prendre tranquillement la direction des opérations. C’était raté, mais il tâcha de n’en rien laisser paraître.
- Pas la peine de monter sur vos grands chevaux, Wolf. Nous sommes chargés de retrouver le député Thorynque, et nous savons que vous l’avez localisé. C’est notre problème, que je sache.
- Ecoutez, agent… quel est votre nom déjà ?
- Gerard.
- Agent Gerard, mon équipier et moi sommes chargés d’une enquête de la plus haute importance dont je ne suis même pas autorisé à vous parler. Et Thorynque est le suspect numéro 1 de cette affaire. J’ajoute qu’il est également soupçonné d’avoir commis un meurtre à Surabaya, affaire également placée sous notre juridiction.
A ce moment, dérangé par le bruit, Grapper revint dans la salle en traînant les pieds. Son arrivée permit à Gerard de masquer le fait qu’il n’avait pas grand chose à opposer aux arguments de Wolf.
- Qu’est-ce que c’est que ce raffut, Derek ? demanda Grapper sur un ton agacé. Et qui c’est, ça ? Mais… bon sang, encore eux !
- Agent Wolf, reprit Gerard de plus belle, je vous répète que notre enquête est prioritaire. Vous pourriez en appeler à vos supérieurs, mais vous savez bien qu’en définitive le Ministère nous donnera raison. Pourquoi perdre votre temps ? Donnez nous simplement l’endroit où nous pourrons trouver Thorynque. Une fois que nous l’aurons retrouvé, vous pourrez mener votre enquête à votre guise.
L’agent spécial Gerard avait raison. Wolf savait pertinemment que le nouveau Ministre de la Sécurité Publique, dont dépendaient à la fois la PFS et l’ASF, était un lion. Et que ce lion, qui de surcroît avait autrefois dirigé l’ASF pendant six ans, donnerait finalement raison à ses anciens protégés. Pourtant, sûr de son bon droit, le loup persista.
- Merci du conseil, agent Gerard, reprit-il sur un ton ferme. Mais il se trouve que nous avons ici tout le matériel nécessaire pour contacter nos supérieurs en deux temps, trois mouvements. Ne croyez pas que je vais lâcher une affaire d’État aussi facilement.
Grapper observait la scène d’un air ahuri. Depuis qu’il faisait équipe avec Wolf, il ne l’avait jamais vu faire preuve d’une telle aisance, ni d’une telle autorité. Sans en faire montre, les deux agents spéciaux de l’ASF étaient presque aussi impressionnés. Pour autant, la répartie de Wolf n’avait guère entamé l’une des principales caractéristiques des membres de l’Agence de Sûreté Fédérale, leur incroyable confiance en eux. Impassibles, Gerard et son équipière – la panthère noire toujours impeccablement moulée par une courte jupe de cuir et un tailleur bien ajusté – regardaient à distance Wolf établir une communication avec le siège de la PFS, à Lyon.
Derek Wolf bailla et s’étira nonchalamment, puis se leva de l’inconfortable sofa sur lequel il avait dormi, en se félicitant de ne pas avoir trop mal au dos. Quittant la « salle de repos », il retourna vers la cellule de crise pour relever Grapper. Lorsqu’il vit son équipier fixer l’écran de ses yeux cernés et mi-clos, il se dit qu’il avait bien fait de ne pas dormir trop longtemps. Pourtant, la voix du renard prit un timbre étonnamment vif quand il annonça à Wolf les résultats de ses investigations nocturnes.
- Derek, tu ne vas pas en croire tes oreilles.
- Quoi donc ?
- Hier soir, Ronnie Thorynque a fait une réservation à son nom, pour une place à bord d’un vol long-courrier de la Japan Air Lines à destination de Toronto, au Canada. Tu le crois ça ?
- Peut-être que la facilité avec laquelle il a berné les alarmes du musée l’a mis en confiance, et qu’il s’imagine pouvoir quitter le Japon tout aussi facilement.
- Peut-être aussi qu’il nous mène en bateau…
- En tous cas, ça ne coûte rien de suivre cette piste. Agent Toyoda, demanda Wolf en se retournant vers son collègue nippon, le labo a-t-il découvert comment Thorynque a fait pour éviter les alarmes ?
- Pas vraiment, répondit Toyoda l’air épuisé. Ils savent juste que les caméras ont été brouillées par un puissant champ électromagnétique. Ils ont pu en déterminer la fréquence, ce qui leur a permis de nettoyer l’image, mais pas l’origine exacte.
Grapper s’apprêtait à rejoindre à son tour la prétendue salle de repos quand il se ravisa.
- Au fait, dit-il à Wolf, on a aussi trouvé quand et comment Thorynque est arrivé à Tokyo. Samedi soir, à 19 h 56, aéroport de Haneda. Et devine d’où provenait son vol…
- Laisse-moi essayer, répondit le loup en se prêtant au jeu. Surabaya ?
- Gagné ! J’ai vérifié les horaires, ça colle. Thorynque a eu tout le temps nécessaire pour se rendre à Surabaya, tuer Zeller et voler le manuscrit, puis venir à Tokyo voler les joyaux. Son avion décolle de ce même aéroport de Haneda, ce soir, à 18 h 02. Cette fois, on le tient !
- Tu m’étonnes ! Va te reposer, Dan. Pendant ce temps, je vais organiser une petite fête à l’intention de M. le député Ronnie Thorynque…
Grapper quitta la salle en poussant un formidable bâillement. Toyoda, qui n’avait pas fermé l’œil depuis près de vingt-quatre heures, ne tarda pas à lui emboîter le pas sur l’injonction de Wolf. Ce dernier se mit à communiquer fiévreusement, toujours par l’intermédiaire du réseau protégé, avec le service des douanes et les différents aéroports du pays. Sans négliger la possibilité d’un leurre, il mit sur pied un piège qui se refermerait implacablement sur le voleur. La police de Tokyo fournirait le gros de l’effectif, que compléterait le personnel local de la PFS, le tout chapeauté par Toyoda, Grapper et lui-même. Vers huit heures, il s’estima assez satisfait de son plan pour s’autoriser une pause café.
Pendant qu’il contemplait le fond de son gobelet en plastique, perdu dans ses pensées et ses plans d’action, l’agent Wolf entendit la porte du petit local qui servait de PC à la « cellule de crise » s’ouvrir, puis aperçut du coin de l’œil deux silhouettes s’approcher dans la pénombre. Il leva la tête, dévisagea quelques instants les nouveaux arrivants et jeta aussitôt son gobelet à demi plein dans la corbeille à papier. La violence inattendue de son geste fit sursauter Matsushita et ses deux employés, qui continuaient à assister Wolf de leur mieux en dépit d’une fatigue de plus en plus prononcée.
- M. Matsushita, allez donc vous reposer je vous prie, ordonna l’agent de la PFS sans cesser de fixer les deux personnes qui se tenaient face à lui.
- Mais je vous assure que…
- S’il vous plaît, M. Matsushita…
En dépit de la politesse du propos, le ton ne laissait guère d’alternative au macaque. Il se retira aussitôt, entraînant avec lui ses deux employés. Wolf prit une profonde inspiration et s’avança vers les deux agents de l’ASF, ceux-là même qui avaient récupéré le dossier Thorynque à Melbourne.
- Agent Derek Wolf ? demanda le guépard sans se départir de ses lunettes noires, et ce bien qu’il fasse à peine jour.
- Vous savez très bien qui je suis, répondit le loup sur un ton franchement peu amène. Qu’est-ce que vous faites ici ?
- Comme vous le savez, reprit son interlocuteur imperturbable, nous sommes en charge de l’affaire concernant la disparition du député Ronnie Thorynque. Et notre enquête nous a conduit jusqu’ici.
- C’est-à-dire jusqu’à l’endroit où elle s’arrête, contre-attaqua énergiquement Wolf.
Le masque impassible du guépard commença à se fissurer. Sous les lunettes opaques, ses traits se durcirent. Au vu de la facilité avec laquelle il avait mis les deux agents de la PFS sur la touche à Melbourne, il croyait pouvoir en imposer suffisamment à Wolf pour prendre tranquillement la direction des opérations. C’était raté, mais il tâcha de n’en rien laisser paraître.
- Pas la peine de monter sur vos grands chevaux, Wolf. Nous sommes chargés de retrouver le député Thorynque, et nous savons que vous l’avez localisé. C’est notre problème, que je sache.
- Ecoutez, agent… quel est votre nom déjà ?
- Gerard.
- Agent Gerard, mon équipier et moi sommes chargés d’une enquête de la plus haute importance dont je ne suis même pas autorisé à vous parler. Et Thorynque est le suspect numéro 1 de cette affaire. J’ajoute qu’il est également soupçonné d’avoir commis un meurtre à Surabaya, affaire également placée sous notre juridiction.
A ce moment, dérangé par le bruit, Grapper revint dans la salle en traînant les pieds. Son arrivée permit à Gerard de masquer le fait qu’il n’avait pas grand chose à opposer aux arguments de Wolf.
- Qu’est-ce que c’est que ce raffut, Derek ? demanda Grapper sur un ton agacé. Et qui c’est, ça ? Mais… bon sang, encore eux !
- Agent Wolf, reprit Gerard de plus belle, je vous répète que notre enquête est prioritaire. Vous pourriez en appeler à vos supérieurs, mais vous savez bien qu’en définitive le Ministère nous donnera raison. Pourquoi perdre votre temps ? Donnez nous simplement l’endroit où nous pourrons trouver Thorynque. Une fois que nous l’aurons retrouvé, vous pourrez mener votre enquête à votre guise.
L’agent spécial Gerard avait raison. Wolf savait pertinemment que le nouveau Ministre de la Sécurité Publique, dont dépendaient à la fois la PFS et l’ASF, était un lion. Et que ce lion, qui de surcroît avait autrefois dirigé l’ASF pendant six ans, donnerait finalement raison à ses anciens protégés. Pourtant, sûr de son bon droit, le loup persista.
- Merci du conseil, agent Gerard, reprit-il sur un ton ferme. Mais il se trouve que nous avons ici tout le matériel nécessaire pour contacter nos supérieurs en deux temps, trois mouvements. Ne croyez pas que je vais lâcher une affaire d’État aussi facilement.
Grapper observait la scène d’un air ahuri. Depuis qu’il faisait équipe avec Wolf, il ne l’avait jamais vu faire preuve d’une telle aisance, ni d’une telle autorité. Sans en faire montre, les deux agents spéciaux de l’ASF étaient presque aussi impressionnés. Pour autant, la répartie de Wolf n’avait guère entamé l’une des principales caractéristiques des membres de l’Agence de Sûreté Fédérale, leur incroyable confiance en eux. Impassibles, Gerard et son équipière – la panthère noire toujours impeccablement moulée par une courte jupe de cuir et un tailleur bien ajusté – regardaient à distance Wolf établir une communication avec le siège de la PFS, à Lyon.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire