Chapitre 4
Surabaya, antenne locale de la PFS, dimanche 10 avril. 9 h 16.
Décidément, cela commençait à faire un peu beaucoup. Voilà près d’une semaine qu’ils rebondissaient d’affaire en affaire sans jamais pouvoir en mener une seule à terme. A peine commençaient-ils à enquêter ici qu’il leur fallait déjà aller là-bas. Ce manège mettait désormais les nerfs des deux agents à rude épreuve. Ils restèrent quelques minutes dans la salle du téléphone, sans rien dire. Puis, leur sens du devoir reprit le dessus et, toujours sans un mot, ils rentrèrent à l’hôtel boucler leurs valises, laissant en plan l’affaire Zeller. Moins de deux heures après, ils étaient à l’aéroport de Surabaya où un jet Falcon 200 n’attendait qu’eux. Slaughterbean l’avait fait mettre à leur entière disposition pour les emmener rapidement à Tokyo. Un indice supplémentaire de la gravité de la situation : d’ordinaire les jets sont réservés aux déplacements des grands pontes de la PFS – les agents en mission se contentent la plupart du temps des vols commerciaux. Le petit biréacteur emmena Wolf et Grapper au Japon en quelques heures.
Musée National de Tokyo, 20 h 15.
Wolf et Grapper s’attendaient à trouver les bureaux administratifs du musée au moins en effervescence, voire surnageant dans une complète pagaille. Surprise, il n’en était rien. L’heure tardive y était évidemment pour beaucoup, mais les autorités tant japonaises que fédérales tenaient expressément à ce que l’affaire ne dégénère pas en scandale. Officiellement – l’annonce avait été faite le matin même – les trois artefacts dérobés étaient en restauration pour une durée encore indéterminée. Afin d’éviter la propagation de rumeurs intempestives, la cellule de crise installée au cœur même du musée ne comprenait que le conservateur, deux techniciens et un agent délégué par l’antenne locale de la PFS. Les allées et venues étaient limitées au strict nécessaire et les différents services concernés (PFS, Musée et Police Municipale de Tokyo) communiquaient entre eux exclusivement par le biais d’internet. Wolf et Grapper eux-mêmes avaient été amenés au musée par une minuscule porte de service, après que leur escorte eut vérifié qu’il y avait un minimum de témoins possibles. La cellule de crise pouvait disposer de moyens illimités sur simple demande. Son organisation cloisonnée n’était pas la plus efficace – dans chaque service concerné, seul le responsable assurait la liaison avec les autres – mais la discrétion primait sur toute autre considération. Peu après leur arrivée au musée, Wolf et Grapper furent présentés aux membres de la cellule de crise : Hideki Toyoda, petit loup gris et chétif, responsable de l’antenne locale de la PFS, et Hiro Matsushita, macaque beige à l’allure insignifiante, mais qui était malgré tout le conservateur du musée le plus moderne de la planète. Toyoda accueillit les deux agents avec la plus grande déférence. Dépendant directement du siège fédéral à Lyon, ils étaient à ce titre des agents « rattachés » (on ne disait plus « spéciaux » depuis que l’arrogante Agence de Sûreté Fédérale avait donné ce titre à ses propres éléments) et constituaient l’élite de la police fédérale, élite envoyée aux quatre coins du globe pour résoudre les affaires les plus délicates. S’il n’était bien sûr pas dénué de qualités, le personnel des antennes locales avait surtout pour tâche d’administrer leur service et d’épauler les « agents rattachés » dans leurs déplacements. Wolf et Grapper étaient bien loin de ces considérations, encore tout surpris qu’ils étaient devant la légèreté du dispositif mis en place. Au moins pourraient-ils débuter leur enquête dans le calme, ce qu’ils firent sans attendre en interrogeant Matsushita.
- Monsieur Matsushita, pouvez-vous nous éclairer sur les circonstances du vol ? demanda Wolf.
Le petit macaque, aux dents saillantes et aux petits yeux bridés cachés derrière des lunettes rondes cerclées de fines montures d’acier, répondit avec un accent pédant.
- Cela s’est déroulé ce matin même, à 5 heures précises. Quelqu’un a simplement dérobé les Trois Joyaux de la Couronne Impériale dans la salle où ils étaient exposés.
- Qu’est-ce que vous entendez par « simplement » ? interrogea Grapper d’un air intrigué.
- Je dis « simplement » parce que le ou les voleurs n’ont été repérés que lorsqu’ils se sont emparés des Joyaux. Les alarmes qui auraient normalement dû signaler tout mouvement suspect n’ont rien détecté. Seule celle qui surveillait l’environnement immédiat des Joyaux s’est mise en route, quand le cambrioleur a cassé la vitrine et les a volés.
- Et que s’est-il passé ensuite ?
- Les gardiens de nuit ont tous convergé vers la salle, selon un plan préétabli qui coupe au voleur toute possibilité de retraite. Les salles et les couloirs sont conçus de manière à faciliter ce déploiement. Mais inexplicablement, les vigiles n’ont trouvé aucune trace, hormis la vitrine cassée.
- Le voleur a peut-être pu passer par les sous-sols, ou sur le toit, suggéra Wolf.
- Impossible ! rétorqua Matsushita sûr de lui. Il n’y a pas d’accès au sous-sol dans cette partie du musée, et les combles comme les toits sont truffés de capteurs.
- Pas de trace d’effraction ?
- Pas la moindre… Sincèrement messieurs, la façon dont ce vol a été commis est tout bonnement incompréhensible ! On peut invoquer une panne isolée d’une alarme, mais le système de sécurité du musée est conçu de manière à éviter toute défaillance généralisée. En toute logique, les cambrioleurs n’auraient pas pu nous échapper.
- J’ai vu beaucoup de caméras en venant ici, dit Wolf. Ont-elles filmé quelque chose ?
- C’est ce qui nous a le plus interloqués, répondit le macaque (dans leur coin, rivés à leur écran d’ordinateur, les deux techniciens du musée opinèrent du chef). Le système de surveillance vidéo n’est pas tombé en panne, il a continué à fonctionner normalement. Mais toutes les images sont comme brouillées, de façon inégale d’ailleurs. Sur les films de certaines caméras, on peut presque apercevoir une silhouette, sur d’autres on ne distingue que de la neige.
- Est-ce que ces enregistrements ont été analysés ? demanda Wolf à l’adresse de Toyoda.
- Pas encore, répondit le petit loup gris. Nous avons eu fort à faire jusqu’ici, et l’antenne de Tokyo ne dispose pas du matériel adéquat. En revanche, la section scientifique de la police municipale vient d’acquérir un logiciel dernier cri permettant d’affiner des images de très mauvaise qualité. Cela ne permet pas d'accroître la résolution, mais ça élimine beaucoup de parasites, d'après ce qu'ils en disent. Si vous le souhaitez, nous pouvons leur expédier les enregistrements sur-le-champ.
Surabaya, antenne locale de la PFS, dimanche 10 avril. 9 h 16.
Décidément, cela commençait à faire un peu beaucoup. Voilà près d’une semaine qu’ils rebondissaient d’affaire en affaire sans jamais pouvoir en mener une seule à terme. A peine commençaient-ils à enquêter ici qu’il leur fallait déjà aller là-bas. Ce manège mettait désormais les nerfs des deux agents à rude épreuve. Ils restèrent quelques minutes dans la salle du téléphone, sans rien dire. Puis, leur sens du devoir reprit le dessus et, toujours sans un mot, ils rentrèrent à l’hôtel boucler leurs valises, laissant en plan l’affaire Zeller. Moins de deux heures après, ils étaient à l’aéroport de Surabaya où un jet Falcon 200 n’attendait qu’eux. Slaughterbean l’avait fait mettre à leur entière disposition pour les emmener rapidement à Tokyo. Un indice supplémentaire de la gravité de la situation : d’ordinaire les jets sont réservés aux déplacements des grands pontes de la PFS – les agents en mission se contentent la plupart du temps des vols commerciaux. Le petit biréacteur emmena Wolf et Grapper au Japon en quelques heures.
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Musée National de Tokyo, 20 h 15.
Wolf et Grapper s’attendaient à trouver les bureaux administratifs du musée au moins en effervescence, voire surnageant dans une complète pagaille. Surprise, il n’en était rien. L’heure tardive y était évidemment pour beaucoup, mais les autorités tant japonaises que fédérales tenaient expressément à ce que l’affaire ne dégénère pas en scandale. Officiellement – l’annonce avait été faite le matin même – les trois artefacts dérobés étaient en restauration pour une durée encore indéterminée. Afin d’éviter la propagation de rumeurs intempestives, la cellule de crise installée au cœur même du musée ne comprenait que le conservateur, deux techniciens et un agent délégué par l’antenne locale de la PFS. Les allées et venues étaient limitées au strict nécessaire et les différents services concernés (PFS, Musée et Police Municipale de Tokyo) communiquaient entre eux exclusivement par le biais d’internet. Wolf et Grapper eux-mêmes avaient été amenés au musée par une minuscule porte de service, après que leur escorte eut vérifié qu’il y avait un minimum de témoins possibles. La cellule de crise pouvait disposer de moyens illimités sur simple demande. Son organisation cloisonnée n’était pas la plus efficace – dans chaque service concerné, seul le responsable assurait la liaison avec les autres – mais la discrétion primait sur toute autre considération. Peu après leur arrivée au musée, Wolf et Grapper furent présentés aux membres de la cellule de crise : Hideki Toyoda, petit loup gris et chétif, responsable de l’antenne locale de la PFS, et Hiro Matsushita, macaque beige à l’allure insignifiante, mais qui était malgré tout le conservateur du musée le plus moderne de la planète. Toyoda accueillit les deux agents avec la plus grande déférence. Dépendant directement du siège fédéral à Lyon, ils étaient à ce titre des agents « rattachés » (on ne disait plus « spéciaux » depuis que l’arrogante Agence de Sûreté Fédérale avait donné ce titre à ses propres éléments) et constituaient l’élite de la police fédérale, élite envoyée aux quatre coins du globe pour résoudre les affaires les plus délicates. S’il n’était bien sûr pas dénué de qualités, le personnel des antennes locales avait surtout pour tâche d’administrer leur service et d’épauler les « agents rattachés » dans leurs déplacements. Wolf et Grapper étaient bien loin de ces considérations, encore tout surpris qu’ils étaient devant la légèreté du dispositif mis en place. Au moins pourraient-ils débuter leur enquête dans le calme, ce qu’ils firent sans attendre en interrogeant Matsushita.
- Monsieur Matsushita, pouvez-vous nous éclairer sur les circonstances du vol ? demanda Wolf.
Le petit macaque, aux dents saillantes et aux petits yeux bridés cachés derrière des lunettes rondes cerclées de fines montures d’acier, répondit avec un accent pédant.
- Cela s’est déroulé ce matin même, à 5 heures précises. Quelqu’un a simplement dérobé les Trois Joyaux de la Couronne Impériale dans la salle où ils étaient exposés.
- Qu’est-ce que vous entendez par « simplement » ? interrogea Grapper d’un air intrigué.
- Je dis « simplement » parce que le ou les voleurs n’ont été repérés que lorsqu’ils se sont emparés des Joyaux. Les alarmes qui auraient normalement dû signaler tout mouvement suspect n’ont rien détecté. Seule celle qui surveillait l’environnement immédiat des Joyaux s’est mise en route, quand le cambrioleur a cassé la vitrine et les a volés.
- Et que s’est-il passé ensuite ?
- Les gardiens de nuit ont tous convergé vers la salle, selon un plan préétabli qui coupe au voleur toute possibilité de retraite. Les salles et les couloirs sont conçus de manière à faciliter ce déploiement. Mais inexplicablement, les vigiles n’ont trouvé aucune trace, hormis la vitrine cassée.
- Le voleur a peut-être pu passer par les sous-sols, ou sur le toit, suggéra Wolf.
- Impossible ! rétorqua Matsushita sûr de lui. Il n’y a pas d’accès au sous-sol dans cette partie du musée, et les combles comme les toits sont truffés de capteurs.
- Pas de trace d’effraction ?
- Pas la moindre… Sincèrement messieurs, la façon dont ce vol a été commis est tout bonnement incompréhensible ! On peut invoquer une panne isolée d’une alarme, mais le système de sécurité du musée est conçu de manière à éviter toute défaillance généralisée. En toute logique, les cambrioleurs n’auraient pas pu nous échapper.
- J’ai vu beaucoup de caméras en venant ici, dit Wolf. Ont-elles filmé quelque chose ?
- C’est ce qui nous a le plus interloqués, répondit le macaque (dans leur coin, rivés à leur écran d’ordinateur, les deux techniciens du musée opinèrent du chef). Le système de surveillance vidéo n’est pas tombé en panne, il a continué à fonctionner normalement. Mais toutes les images sont comme brouillées, de façon inégale d’ailleurs. Sur les films de certaines caméras, on peut presque apercevoir une silhouette, sur d’autres on ne distingue que de la neige.
- Est-ce que ces enregistrements ont été analysés ? demanda Wolf à l’adresse de Toyoda.
- Pas encore, répondit le petit loup gris. Nous avons eu fort à faire jusqu’ici, et l’antenne de Tokyo ne dispose pas du matériel adéquat. En revanche, la section scientifique de la police municipale vient d’acquérir un logiciel dernier cri permettant d’affiner des images de très mauvaise qualité. Cela ne permet pas d'accroître la résolution, mais ça élimine beaucoup de parasites, d'après ce qu'ils en disent. Si vous le souhaitez, nous pouvons leur expédier les enregistrements sur-le-champ.
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