lundi 9 août 2010

LSDO - chapitre 7, verset 3

Le cockpit du Falcon n’était éclairé que par la lueur des instruments de navigation. Wolf, qui adorait tout ce qui touchait à l’aéronautique et lisait régulièrement la presse spécialisée, constata avec un vif intérêt que l’avionique du petit jet était du dernier cri : console de navigation GPS, horizon artificiel et affichage des données numérisé. Tout à leur tâche, les deux pilotes remarquèrent à peine qu’un de leur passager leur tenait désormais compagnie. Il était rare que les grands pontes de la PFS qu’ils transportaient habituellement vinssent leur rendre visite en vol. Ils étaient généralement bien trop occupés, au choix, à peaufiner encore et toujours la réunion du lendemain, ou bien à se goinfrer du contenu du mini-bar ; voire à faire les deux en même temps. En bon passionné d’aéronautique, Derek savait que la vitesse de croisière d’un jet Falcon 900, de l’ordre de 950 km/h, était légèrement supérieure à celle d’un Boeing 767, ce qui lui laissait, abstraction faite de tout calcul, un petit espoir de rattraper l’avion de ligne.

- D’après vous, demanda Derek au pilote, est-ce que nous arriverons à Toronto avant le vol JAL 007 ?
- Je crains fort que cela soit impossible...
- Mais on peut au moins espérer réduire leur avance en volant plus vite, n’est-ce pas ?
- Ce n’est pas si simple, Monsieur. Un oiseau comme le nôtre n’a qu’une capacité en carburant limité, alors que les gros avions de ligne peuvent se permettre de faire le voyage d’une seule traite…
- Autrement dit ? fit Wolf qui redoutait une tuile.
- Nous allons devoir refaire le plein, à Honolulu.

Autant dire que pour l’accueil de Ronnie Thorynque à Toronto, c’était plutôt compromis. Derek le savait très bien. Il fit la moue.

- Combien de temps cela va nous prendre ? poursuivit-il.
- Environ une heure.
- Et à quelle heure serons-nous à Toronto ?
- D’après les calculs de Jerry, fit le pilote en désignant son second assis à sa droite, un peu après 13 heures, heure locale.

Le vol JAL 007 devait atterrir à 11 h 17. « Merci, Tom » ajouta Derek à l’adresse du chat avant de quitter la cabine. Il devait absolument organiser, même à distance, la réception du suspect à l’aéroport de Toronto. Le loup aurait bien aimé effacer l’affront que le monotrème lui avait infligé à Tokyo, mais cette fois, c’était à la police locale de l’arrêter. Qu’importe. Il aurait au moins la satisfaction de lui poser la première question de son interrogatoire.


***

Aéroport intercontinental d’Oshawa, Toronto, Canada, 13 h 37.

Le visage fatigué, engoncé dans son imperméable beige, le canard se gratta brièvement le bec. L’air penaud, il osait à peine croiser le regard des quatre agents fédéraux impeccablement sapés qui, assis en face de lui, le fixaient d’un œil noir. L’infâme peinture jaune de la minuscule petite pièce où on l’avait amené acheva définitivement de le déprimer. Soudain, vraisemblablement incapable de se contenir davantage, un des agents, un loup au pelage beige clair tirant sur le gris, se leva.

- Alors, lui demanda Derek Wolf, vous allez peut-être pouvoir nous expliquer comment vous avez fait pour… perdre la trace d’un suspect à sa descente d’avion !?

Le chef-adjoint de la police de Toronto, car c’était à lui qu’il s’adressait, balbutia quelques vaines excuses. Lorsque le vol JAL 007 avait touché le sol, un dispositif important était déjà en place, sur les instructions que les fédéraux avaient eux-mêmes communiquées depuis leur avion. Il était virtuellement impossible à Ronnie Thorynque de quitter l’appareil avant d’être interpellé. Pourtant, nulle trace du parlementaire lorsque les passagers quittèrent l’avion.

- Ce… c’est à n’y rien comprendre, balbutia le canard. Les hôtesses avaient encore signalé le suspect au moment du roulage, quelques minutes avant de débarquer. Mais quand les passagers ont débarqué, pas de Thorynque…

Le policier expliqua encore aux quatre agents fédéraux que lui-même et ses policiers avaient ensuite passé près de deux heures à fouiller tout ce qui pouvait l’être à bord de ce maudit avion. Mais nulle part, que ce soit dans les soutes à bagages, la cabine de pilotage, le compartiment de la turbine de secours ou sous la lunette des WC, ils n’avaient trouvé la moindre trace du député ou de son butin. Comme à Tokyo, Thorynque s’était volatilisé. Les fédéraux passèrent encore un moment leurs nerfs sur le pauvre flic, puis se retirèrent dans la pièce à côté pour discuter de la marche à suivre.

- C’est pas croyable ! commença Grapper. Ce Thorynque, il a fait une école d’illusionniste ou quoi ?
- Il a peut-être eu le temps de se grimer ou se déguiser… proposa sans conviction Wolf.
- Les hôtesses l’ont gardé à l’œil pendant tout le vol, répondit Masinga. Elles auraient immédiatement remarqué un changement de ce genre…
- … et elles assurent, reprit Grapper, que leur passager était bien le suspect correspondant à la description.
- De toutes façons, poursuivit la panthère noire, tous les bagages ont été fouillés, et les joyaux sont restés introuvables.
- Donc, fit le renard, notre suspect n’est pas descendu de l’avion, et il ne se trouve pas à bord de l’appareil. Alors où est-il ?
- Il a dû filer par le tarmac, dit Wolf.
- Tu sais bien que non, Derek, asséna aussitôt son équipier.
- Tu as peut-être raison, mais mais j'ai quelques doutes sur le sérieux de la police locale dans cette affaire. En attendant, il nous a refait le coup de Tokyo. Je commence à me demander s’il n’est pas un peu trop fort pour nous ce type…
- Peut-être est-il effectivement trop fort pour vous, coupa abruptement Gerard, mais il ne l’est pas nécessairement pour moi…

Derek dut se retenir de faire remarquer à son distingué collègue de l’ASF que c’était d’abord lui qui avait laissé filer Ronnie Thorynque à Haneda. Ne voulant pas renouveler leur dispute de la nuit précédente, il laissa le guépard poursuivre un discours qu’il jugeait hautement présomptueux.

- Je crois qu’il est temps, fit Terence, que l’ASF prenne les choses en main. Êtes-vous disposé à l’admettre, agent Wolf ?
- Nous en avons déjà parlé dans l’avion, répondit Derek qui ne voulait surtout pas prononcer le mot « oui ».
- Parfait. Emma, il faudrait contacter notre antenne locale. Il va falloir lancer des recherches à grande échelle. Thorynque ne peut pas être bien loin. En fouillant minutieusement les environs, il ne pourra pas nous échapper.

Bien que ni lui ni Grapper ne partageaient les certitudes de Gerard, Wolf laissa ce dernier exposer ses idées sans même chercher à les contredire. Puis les quatre agents fédéraux retournèrent dans le petit bureau jaune où Gerard « demanda » (le verbe « exiger » eût été plus approprié) le concours de la police locale. Le chef-adjoint, trop heureux de pouvoir effacer sa bévue précédente, s’empressa de mettre à sa disposition tout l’effectif disponible, le guépard élaborant avec lui et le reste du détachement T les détails de son plan d’action.

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