mardi 24 août 2010

LSDO - chapitre 8, verset 2

Bien qu’il ne fût guère accoutumé à dialoguer avec les pontes du ministère, le guépard s’efforça de masquer son trac en accueillant le vice-ministre le plus cordialement possible.

- Bonsoir, M. le vice-ministre. Que nous vaut l’honneur…
- Trêve de plaisanteries, Gerard ! Vous allez immédiatement mettre un terme à ce désordre et rappeler vos gens !

Si les yeux du loup gris avaient pu lancer des éclairs, la pluie qui s’abattait à ce moment sur Toronto se serait transformée en violent orage. Supposant que les initiatives qu’il avait prises ces dernières heures n’avaient guère été appréciées en haut lieu, Terence tenta de se justifier.

- Mais, Monsieur, je…
- Ne me coupez pas quand je parle, agent Gerard ! J’ai encore bien trop de choses à vous reprocher.

Le ton était donné. Adossé contre la paroi du van, Derek songea qu’il n’avait encore jamais vu quelqu’un dans un tel état de rage. Ce qui était le plus terrifiant, c’était que la colère de Derrflinger était une colère froide. Des phrases dures, une voix glaciale, un ton cassant mais aucun mot plus haut que l’autre. Rien à voir avec les explosions spectaculaires mais rarement dramatiques de Pat Slaughterbean. Le visage taillé à la serpe du vice-ministre était autrement plus inquiétant.

- Mais enfin Gerard, poursuivit-il, vous êtes devenu fou ? La presse ne parle que de vos gigantesques battues et n’a de cesse de demander des explications à nos services ! Je croyais pourtant avoir été clair sur ce point ! Vos investigations devaient rester les plus discrètes possibles.

Blessé dans son orgueil, le guépard tenta d’improviser une réponse d’une voix mal assurée.

- Monsieur, le suspect a échappé à la police locale à l’aéroport. Il fallait réagir vite pour ne pas perdre définitivement sa trace.
- Réagir oui, mais pas de cette façon ! Il fallait enquêter discrètement sur les hôtels, les logements récemment loués ou ses éventuels points de chute à Toronto ! Pas lui courir après comme on traque le gibier en Forêt-Noire !

L’agent Gerard n’en était pas à sa première bourde. Lors de ses premières années au sein de l’ASF, il avait compris que c’était en commettant des erreurs qu’on apprenait le métier. Mais il n’avait encore jamais subi un tel désaveu. Il accusa le coup et laissa son interlocuteur poursuivre sa diatribe.

- Il est incompréhensible que vous ayez agi avec un tel mépris pour les règles les plus élémentaires de discrétion. Et qu’aucun de vos collègues ne vous l’ait fait remarquer est plus invraisemblable encore.

Toujours adossé à la paroi, Derek Wolf aurait volontiers signalé au vice-ministre qu’il avait averti Gerard à plusieurs reprises des risques que comportaient ses méthodes de travail. Mais, sentant sans doute que le moment était mal choisi, il jugea préférable de garder le silence.

- Vous nous avez mis dans l’embarras, poursuivit Derrflinger. Ce n’est pas le fait que la presse soit au courant de vos grandes battues qui est gênant. C’est qu’elle sache qui nous cherchons qui pose problème.
- Comment cela ? demanda Gerard incrédule. Nous avions pourtant bien précisé à la police locale de ne faire aucune déclaration.
- Les journalistes racontent peut-être beaucoup de bêtises dans leurs papiers, agent Gerard, mais ils n’en sont pas stupides pour autant. Il leur a suffi de consulter la liste des passagers du vol que vous avez intercepté pour savoir que vous cherchiez Ronnie Thorynque.
- Mais Monsieur, se risqua Derek, la disparition du député Thorynque n’a pas encore été annoncée officiellement.
- C’est exact, mais ses absences lors de plusieurs réunions ont été remarquées. On ne peut pas empêcher les rumeurs de circuler. Toujours en utilisant les listings des compagnies aériennes, le journaliste qui veut savoir ce qu’est devenu Thorynque a pu suivre sa trace jusqu’à Surabaya, où il a pu apprendre dans la presse locale qu’un professeur d’archéologie a été assassiné pour lui voler un parchemin ancien. Un élu en fuite, un meurtre, une vieille relique… il n’en faut pas plus pour enflammer les imaginations. Ensuite, on peut encore suivre Thorynque à la trace jusqu’à Tokyo. Et comme par hasard, lorsqu’il y arrive, le musée de la ville retire précipitamment de ses vitrines les joyaux de la couronne impériale sous prétexte de restauration alors que ce genre d’opération est d’ordinaire planifié longtemps à l’avance. Et puis, un peu plus tard, on apprend qu’une fusillade a lieu dans un terminal de l’aéroport de Tokyo, que l’avion qui en a décollé aussitôt après transportait toujours M. Thorynque, et qu’au bout du compte cet appareil a été fouillé de fond en comble par des agents fédéraux à son arrivée à Toronto. Il est facile de tirer de ces informations par ailleurs aisément accessibles que Ronnie Thorynque est traqué par le gouvernement fédéral parce que c’est un assassin et un voleur d’antiquités. Ce genre de déduction est à la portée de n’importe quel journaliste d’investigation. Demain matin, cette histoire sera en première page.

En repensant au contenu de ses derniers propos, Derrflinger dût probablement réaliser que bon nombre des éléments qui avaient conduit à ce que l’affaire s’ébruite étaient inévitables et qu’ils ne relevaient pas de la responsabilité de Gerard, ni d’aucun autre membre du détachement T. Ses traits et sa voix s’adoucirent.

- J’admets que vous ne portez pas l’entière responsabilité de ce fiasco. Mais vous devez comprendre qu’en agissant comme vous l’avez fait, vous avez attiré l’attention du public sur l’affaire Thorynque.

Au ton que prenait le vice-ministre, Gerard, Masinga et Wolf comprirent que la suite de son discours allait décider de la suite de leur enquête. Encore fallait-il pour cela qu’ils ne soient pas rappelés sur-le-champ à Genève. Les trois agents fédéraux redoublèrent d’attention.

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