Université de Surabaya, département d’archéologie, mercredi 6 avril 2003. 21 h 35.
Fenêtre ouverte mais moustiquaire baissée, la salle 101 du département d’archéologie laissait échapper une lumière jaune qui, à elle seule, contrastait avec les autres bâtiments de l’université. Situé un peu à l’écart de la grande métropole indonésienne, le campus de Surabaya était construit en bordure d’une vaste forêt. Parfois, de petits singes sauvages venaient s’égailler sur ses pelouses, pour le plus grand bonheur des étudiants dont beaucoup étaient leurs cousins évolués. Plus prosaïquement, le campus était littéralement envahi par les insectes et la nuit, l’usage des moustiquaires était indispensable.
Eclairé par sa petite lampe de bureau, Rupert Zeller, un orang-outan massif, velu et grisonnant, s’escrimait toujours à déchiffrer le manuscrit qu’il avait sous les yeux. Il aimait l’atmosphère tranquille du campus, le soir, après la fin des cours. Il la trouvait propice au travail, et n’hésitait pas à y rester pour travailler pendant des heures, parfois très tard dans la nuit. Ce soir-là, Zeller était fatigué, mais il voulait absolument progresser dans la traduction de ce parchemin. Il déroula précautionneusement le fragile rouleau, vieux de plusieurs siècles, et se remit à l’ouvrage.
Dans le grand hévéa, sur une branche basse face à la fenêtre éclairée située au premier étage du bâtiment, une silhouette incongrue l’épiait. Agrippée au tronc, la créature déplaça ses mains difformes, aux interminables doigts crochus et squelettiques. Puis elle avança son visage dans le rais de lumière qui s’échappait de la fenêtre, tout en restant à distance respectueuse. Ses grands yeux ronds, démesurés, lui mangeaient plus de la moitié du visage. La lumière de la lampe rétrécissait ses pupilles, rendant ses globes oculaires encore plus jaunes et plus brillants que de coutume. Enfin, son nez et sa bouche, minuscules, dessinaient un rictus qui évoquait presque la folie. L’animal observa l’archéologue travailler un moment. Quand Zeller entendit un bruit et se retourna, la créature haussa les arcades sourcilières, ce qui lui donna un air halluciné, et se cacha dans l’ombre.
Dans la nuit, deux coups de feu claquèrent.
Hôtel Down Under, Melbourne, jeudi 7 avril. 2 h 03.
Décidément, cette affaire ne sentait pas bon. Même si les deux agents de la PFS en savaient plus sur ce dossier depuis leur descente au Darwin’s, le cas Ronnie Thorynque restait une énigme. Le soir de sa disparition, le député avait manifesté un comportement étrange. C’était toujours un commencement de piste, mais ça ne disait pas vraiment ce qui lui était arrivé. « Non, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce dossier », se disait Wolf. C’était le genre d’affaire où le génie de Fuchs Moldhair aurait été d’une aide précieuse. Oui, Moldhair, avec son invraisemblable capacité à sauter directement à la conclusion, était vraiment le meilleur pour ce genre de cas mystérieux. Les conclusions en question n'étaient pas toujours les plus pertinentes, encore moins les plus orthodoxes, mais son imagination prolixe avait au moins le mérite de suggérer des pistes à explorer. Mais Moldhair n’était pas là, et Wolf comme Grapper allaient devoir se débrouiller avec leurs propres moyens. Ils étaient en train d’échanger ces impressions dans la chambre de Wolf quand on frappa à la porte. À deux heures du matin, c’était tout sauf normal. Par prudence, Derek prit son arme de service avant de s’approcher de la porte tandis que Grapper se maudissait intérieurement d’avoir laissé la sienne dans sa chambre. L’arme au poing, Wolf ouvrit prudemment, prêt à faire face à l’éventuel agresseur. Un guépard et une panthère noire se tenaient dans le couloir, l’expression figée. Costume noir impeccable pour le premier, jupe courte et bottines de cuir pour la seconde, lunettes noires pour les deux. La dégaine du parfait officier de l’Agence de Sûreté Fédérale.
- Agent Derek Wolf ? fit abruptement le guépard sur un ton glacial.
- C’est moi, répondit Wolf toujours méfiant.
- Agents spéciaux Gerard et Masinga, ASF. Nous souhaiterions vous parler au sujet de l’affaire Ronnie Thorynque.
- Oui, entrez, fit Wolf en rengainant discrètement son pistolet.
- Ce ne sera pas nécessaire. A partir de maintenant, cette affaire passe sous la juridiction de l’Agence de Sûreté Fédérale. La PFS est dessaisie du dossier. Vous devez cesser immédiatement toutes vos investigations. C’est à présent notre enquête.
L’agent Wolf ne put, malgré ses efforts, cacher sa surprise et son incrédulité. Il tenta malgré tout de réagir.
- Eh bien… Je dois d’abord en référer à mes supérieurs…
- Faites ce que bon vous semble, répondit sèchement Gerard. Pendant ce temps, nous allons nous mettre au travail.
Sans rien ajouter de plus, les deux félins tournèrent les talons et s’engouffrèrent dans l’ascenseur. Wolf referma la porte, soupira en adressant un œil noir à Grapper, puis s’allongea sur son lit. Sans un mot, les deux agents allèrent se coucher.
Fenêtre ouverte mais moustiquaire baissée, la salle 101 du département d’archéologie laissait échapper une lumière jaune qui, à elle seule, contrastait avec les autres bâtiments de l’université. Situé un peu à l’écart de la grande métropole indonésienne, le campus de Surabaya était construit en bordure d’une vaste forêt. Parfois, de petits singes sauvages venaient s’égailler sur ses pelouses, pour le plus grand bonheur des étudiants dont beaucoup étaient leurs cousins évolués. Plus prosaïquement, le campus était littéralement envahi par les insectes et la nuit, l’usage des moustiquaires était indispensable.
Eclairé par sa petite lampe de bureau, Rupert Zeller, un orang-outan massif, velu et grisonnant, s’escrimait toujours à déchiffrer le manuscrit qu’il avait sous les yeux. Il aimait l’atmosphère tranquille du campus, le soir, après la fin des cours. Il la trouvait propice au travail, et n’hésitait pas à y rester pour travailler pendant des heures, parfois très tard dans la nuit. Ce soir-là, Zeller était fatigué, mais il voulait absolument progresser dans la traduction de ce parchemin. Il déroula précautionneusement le fragile rouleau, vieux de plusieurs siècles, et se remit à l’ouvrage.
Dans le grand hévéa, sur une branche basse face à la fenêtre éclairée située au premier étage du bâtiment, une silhouette incongrue l’épiait. Agrippée au tronc, la créature déplaça ses mains difformes, aux interminables doigts crochus et squelettiques. Puis elle avança son visage dans le rais de lumière qui s’échappait de la fenêtre, tout en restant à distance respectueuse. Ses grands yeux ronds, démesurés, lui mangeaient plus de la moitié du visage. La lumière de la lampe rétrécissait ses pupilles, rendant ses globes oculaires encore plus jaunes et plus brillants que de coutume. Enfin, son nez et sa bouche, minuscules, dessinaient un rictus qui évoquait presque la folie. L’animal observa l’archéologue travailler un moment. Quand Zeller entendit un bruit et se retourna, la créature haussa les arcades sourcilières, ce qui lui donna un air halluciné, et se cacha dans l’ombre.
Dans la nuit, deux coups de feu claquèrent.
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Hôtel Down Under, Melbourne, jeudi 7 avril. 2 h 03.
Décidément, cette affaire ne sentait pas bon. Même si les deux agents de la PFS en savaient plus sur ce dossier depuis leur descente au Darwin’s, le cas Ronnie Thorynque restait une énigme. Le soir de sa disparition, le député avait manifesté un comportement étrange. C’était toujours un commencement de piste, mais ça ne disait pas vraiment ce qui lui était arrivé. « Non, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce dossier », se disait Wolf. C’était le genre d’affaire où le génie de Fuchs Moldhair aurait été d’une aide précieuse. Oui, Moldhair, avec son invraisemblable capacité à sauter directement à la conclusion, était vraiment le meilleur pour ce genre de cas mystérieux. Les conclusions en question n'étaient pas toujours les plus pertinentes, encore moins les plus orthodoxes, mais son imagination prolixe avait au moins le mérite de suggérer des pistes à explorer. Mais Moldhair n’était pas là, et Wolf comme Grapper allaient devoir se débrouiller avec leurs propres moyens. Ils étaient en train d’échanger ces impressions dans la chambre de Wolf quand on frappa à la porte. À deux heures du matin, c’était tout sauf normal. Par prudence, Derek prit son arme de service avant de s’approcher de la porte tandis que Grapper se maudissait intérieurement d’avoir laissé la sienne dans sa chambre. L’arme au poing, Wolf ouvrit prudemment, prêt à faire face à l’éventuel agresseur. Un guépard et une panthère noire se tenaient dans le couloir, l’expression figée. Costume noir impeccable pour le premier, jupe courte et bottines de cuir pour la seconde, lunettes noires pour les deux. La dégaine du parfait officier de l’Agence de Sûreté Fédérale.
- Agent Derek Wolf ? fit abruptement le guépard sur un ton glacial.
- C’est moi, répondit Wolf toujours méfiant.
- Agents spéciaux Gerard et Masinga, ASF. Nous souhaiterions vous parler au sujet de l’affaire Ronnie Thorynque.
- Oui, entrez, fit Wolf en rengainant discrètement son pistolet.
- Ce ne sera pas nécessaire. A partir de maintenant, cette affaire passe sous la juridiction de l’Agence de Sûreté Fédérale. La PFS est dessaisie du dossier. Vous devez cesser immédiatement toutes vos investigations. C’est à présent notre enquête.
L’agent Wolf ne put, malgré ses efforts, cacher sa surprise et son incrédulité. Il tenta malgré tout de réagir.
- Eh bien… Je dois d’abord en référer à mes supérieurs…
- Faites ce que bon vous semble, répondit sèchement Gerard. Pendant ce temps, nous allons nous mettre au travail.
Sans rien ajouter de plus, les deux félins tournèrent les talons et s’engouffrèrent dans l’ascenseur. Wolf referma la porte, soupira en adressant un œil noir à Grapper, puis s’allongea sur son lit. Sans un mot, les deux agents allèrent se coucher.
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