mardi 17 novembre 2009

LSDO - chapitre 2, verset 4

Club Darwin’s. 23 h 50.

L’enseigne du Darwin’s, une tortue lumineuse dont le rose fluo siéait à merveille à ce genre d’endroit, éclairait d’une faible lumière la petite rue miteuse où le club était installé. Précédés des deux inspecteurs de la police des mœurs, Wolf et Grapper s’approchèrent du videur, un grand hippopotame débordant de muscles engoncé dans un blouson de cuir. L’air peu commode, il regarda les quatre mâles en costard-cravate venir vers lui.

- Salut Charlie ! fit Gold. Ça a l’air calme, ce soir.
- Ça va pas tarder à bouger, répondit l’hippo. Sophie passe dans dix minutes. Tu viens pour le boulot ou pour le plaisir ?
- Pour le boulot.
- C’est qui, ces deux là ? demanda le physio en désignant Grapper et Wolf.
- Des amis. Charlie, tu ne devrais pas être trop curieux avec eux. Autrement, je pourrais subitement me souvenir que tu portes un Colt .45 sous ton cuir.
- C’est pour ma sécurité, répliqua Charlie d’un ton mal assuré.
- Peut-être, mais ta sécurité nécessite théoriquement un permis de port d’arme en bonne et due forme. Mes amis veulent savoir ce que tu as vu vendredi soir.
- Mais je te l’ai déjà raconté…
- Et bien répète-leur…
- Avez-vous vu le député Ronnie Thorynque ce soir-là ? enchaîna Wolf.
- Oui…
- Il vient souvent ici ? demanda Grapper.
- C’est un de nos habitués.
- Et est-ce que vous avez remarqué quelque chose d’inhabituel ? reprit Wolf.
- Pour sûr ! En arrivant vers onze heures, comme d’habitude, il était normal, tout allait bien. Mais en repartant, il était… différent. Il avait pas l’air dans son assiette.
- Vous voulez dire qu’il était malade ? Ivre ?
- Non, il semblait en bonne santé et ne boit presque rien quand il est ici. Mais il ne m’a même pas répondu quand je lui ai dit bonsoir, alors qu’il est toujours très poli avec tout le monde dans la boîte. Et il ne semblait plus savoir où il était. Il a été à droite, puis à gauche, et puis il s’est éloigné.
- Quelle heure c’était ?
- Une heure et demie, à peu près.
- Rien d’autre ?
- Non… Vous devriez causer à Lily, Thorynque était un de ses clients favoris. Elle est là ce soir.

Wolf et Grapper firent un pas en arrière, signe que l’interrogatoire était terminé. Charlie se retourna vers Gold. Derrière le petit groupe, quelques postulants à l’entrée s’impatientaient.

- Bon, vous rentrez alors ? J’ai du monde, moi…
- Ouais, on va faire un tour, répondit Fenwick tout sourire.

Les quatre flics pénétrèrent dans le club Darwin’s. Ils furent aussitôt assaillis par une atmosphère suffocante, chargée de bruit et de fumée. La sono jouait à tue-tête un morceau de R’n’B sulfureux. Wolf fit son possible pour ne pas y prêter attention, car il détestait ce genre de musique. Gold dut hausser le ton pour pouvoir se faire comprendre.

- On a de la chance ! On arrive juste à temps pour le numéro de Sophie la Girafe.
- Qui est-ce ? demanda Wolf.
- La vedette de la boîte ! Sophie est divine. Elle a des jambes… interminables. Un rêve ! De quoi redonner leur virilité aux plus anciens pensionnaires des services de gériatrie !
- Et encore, il n’y a pas que les jambes, dit Fenwick en passant sa patte dans les poils blonds de son crâne, entre ses oreilles démesurées et pointues.
- Pour sûr ! reprit Gold. Une langue de 45 centimètres, ça laisse rêveur, non ?

Ce qui était certain, c’est que Gold et Fenwick n’étaient pas à la brigade des mœurs par hasard. Deux vrais obsédés sexuels. Nul doute qu’ils prenaient souvent plaisir à faire leur métier. Grapper, quant à lui, se trouvait juste derrière Fenwick. Malgré la fumée et les relents de toutes sortes qui régnaient dans la boîte de nuit, il put constater que l’hygiène corporelle du fennec était vraisemblablement des plus douteuses. Et dire qu’on lui avait appris, à l’académie, à se méfier des idées reçues ! Sur la scène principale, Sophie la Girafe était maintenant en pleine action. Elle portait sur elle si peu de tissu qu’on pouvait légitimement se demander de quelle manière elle pourrait réaliser un numéro de strip-tease d’une demi-heure sans se retrouver complètement nue au bout de cinq minutes. Pour l’heure, agrippée à une barre de métal verticale, elle se livrait à des déhanchements suggestifs qui mettaient savamment en valeur ses interminables jambes, rehaussés par de magnifiques porte-jarretelles noirs. Le tout sous l’œil avide de la clientèle du Darwin’s, en majorité des kangourous assez friqués. Constatant que les deux inspecteurs gardaient les yeux rivés sur la scène, Wolf se mit en devoir de les rappeler à leur mission.

- On est ici pour le boulot, inspecteur Gold. Vous vous souvenez ?
- Ouais… Venez, on va parler au patron.

Le patron, un pélican avec costume blanc, lunettes noires et plumes grises gominées, se tenait à une petite table, dans un coin éclairé subtilement par un spot bleu, près du bar. Il prit aussitôt un air inquiet quand il vit les quatre flics approcher.

- Ma, Al, qu’est-ce que tu fiches encore ici ? demanda-t-il avec un exécrable accent méditerranéen.
- Le boulot, Boss, répondit Gold en prenant un air candide. Mes deux amis voudraient parler à Lily.

Le pélican jaugea quelques instants les deux agents de la PFS, puis secoua vigoureusement son goitre. Sur la scène, Sophie dessinait de sa langue violette d’élégantes arabesques, excitant plus que jamais la convoitise de son public.

- Elle est encore sur scène, dans la salle du bas.
- Alors fait la monter.
- Mais c’est pas possible… J’ai un gros client ce soir, et il va bientôt passer en cabine avec elle…
- Boss, tu vois, j’ai rien contre toi… Je m’en voudrais de mettre le museau par hasard dans tes livres de comptes, alors…
- D’accord, je vais la chercher. Passez en coulisse.
- Merci, Boss.
- Ma, de rien. Ça me fait toujours plaisir de te rendre service, fit le patron de la boîte avec un sourire forcé.

Quelques minutes plus tard, les quatre agents purent rencontrer Lily la Tigresse dans sa loge. La strip-teaseuse avait enfilé un peignoir et fumait une cigarette.

- Lily, ces messieurs veulent te poser quelques questions, fit le Boss avant de se retirer.
- C’est à propos de Ronnie Thorynque, ajouta Gold.
- Qu’est-ce que je peux faire ?
- Avez-vous remarqué quelque chose d’anormal dans son comportement, vendredi dernier ? demanda Wolf.
- En début de soirée, tout allait bien. Et puis, au bout d’une demi-heure, il a commencé à changer. Tantôt il avait les yeux dans le vague, tantôt il s’éloignait et revenait sans raison. D’habitude, il est toujours très assidu. Il passe la soirée à mater mes numéros. Là, il n’avait plus l’air de savoir où il était.

Pendant que Lily parlait, Fenwick cherchait visiblement à regarder sous son peignoir. Grapper, qui l’observait, était consterné. Il n’était pas forcément contre ce genre de bagatelle, mais là, c’en était franchement écœurant.

- Est-ce qu’il avait trop bu ? poursuivit Wolf. Pris de la drogue ?
- Vous voulez rire ? Ronnie s’est contenté d’une tequila sunrise, comme à chaque fois. C’est un client réglo. Il me matait sans arrêt, me laissait de gros pourboires, mais c’était pas le genre à passer dans les cabines avec moi…
- Il était seul ?
- Je ne l’ai jamais vu adresser la parole à quelqu’un d’autre qu’au Boss, à Charlie ou au barman. Des fois, on discutait après mes shows. Il était très seul, vous savez. Alors pour se vider la tête, il venait régulièrement ici. En quelque sorte, c’est un de mes fans…
- Bien, c’est tout. Merci mademoiselle.
- Vous allez le retrouver ? Vous savez, c’est un type bien…
- On va faire de notre mieux, conclut Wolf.

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